The Shins
Port Of Morrow |
Label :
Aural Apothecary / Columbia |
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Après être devenus dans les années 2000 les rois de l'indie pop-rock américain grâce au succès tant critique que commercial de leurs trois premiers LPs (Chutes Too Narrow, leur album de 2003, restant comme leur chef d'œuvre absolu à mon sens), les Shins, que l'on pourrait réduire sans se fourvoyer au seul James Mercer, le compositeur principal et fondateur du groupe, reviennent en 2012 avec leur quatrième disque, Port Of Morrow, qui arrive cinq ans après le précédent, le génial Wincing The Night Away. Si ces cinq années furent nécessaires pour le publier, c'est qu'il y a bien une raison. Ou plutôt des raisons. Tout d'abord, Mercer se trouva épuisé, la réussite de son groupe, dans lequel il s'impliquait depuis une décennie environ, commençant à franchement le dépasser. Le succès de Wincing The Night Away et la tournée qui s'en suivit ne dut pas arranger la situation, au point qu'il se dit même prêt à quitter le groupe.
Sa collaboration à partir de 2008 (leur rencontre remontant à 2004 au Roskilde Festival) avec le musicien et producteur Brian Burton (aka Danger Mouse) allait le remettre d'aplomb, à travers le projet Broken Bells et la sortie d'un premier album éponyme en 2010, où la sensibilité pop de Mercer s'unit avantageusement avec les aspirations plus synthétiques de Burton. Cette rencontre fut importante à plus d'un titre pour Mercer. D'abord, il retrouva l'inspiration, l'envie de composer pour les Shins. Elle lui permit également d'expérimenter davantage en studio et de rencontrer de nouveaux musiciens. Séduit par cette nouvelle approche, il voulut persévérer dans cette voie et maintenir cet élan créatif au sein de son propre groupe. Il prit alors la dure décision de congédier Dave Hernandez, Martin Crandall et Jesse Sandoval de la formation, les musiciens qui l'accompagnaient pourtant depuis ses débuts, Sandoval en premier lieu, puisque Mercer et lui furent tout simplement les deux membres fondateurs du groupe en 1996, à la suite de Flake Music. Mais voulant résolument entrer dans une nouvelle phase artistique et créative pour The Shins, Mercer ne put agir autrement que par cette décision radicale. Il quitta également Sub Pop pour fonder son propre label, Aural Apothecary, sur lequel les disques des Shins seront dorénavant publiés.
Se retrouvant unique membre du groupe et ayant réussi à surmonter ses appréhensions quant à la collaboration avec d'autres musiciens, il se lança dans la création de ce Port Of Morrow, dont les premiers stages d'élaboration remontent à 2009. L'enregistrement de l'album en lui-même s'étendit de mars à octobre 2011. Il s'adjoignit les services du producteur Greg Kurstin, qui l'incita à expérimenter en studio et qui joue également de nombreux instruments sur le disque. Mercer s'entoura de nombreux musiciens, dont Joe Plummer à la batterie (membre notamment de Modest Mouse), Ron Lewis à la basse, Eric D. Johnson (le leader des Fruit Bats) au piano, clavier et chœurs ou encore ses anciens compères Dave Hernandez à la guitare et Marty Crandall aux claviers, preuve que la rupture précédemment évoquée n'était pas irrémédiable. Maintenant, et il serait enfin temps, abordons cet album plus précisément. Ces cinq interminables années d'attente en ont-elles valu la peine ? Le génie pop de James Mercer est-il intact ? Sa volonté d'évoluer, d'expérimenter a-t-elle porté ses fruits ? À ces trois questions, une seule réponse : oui !
L'attente est en effet récompensée puisque cet album, tout en comprenant de purs morceaux comme les Shins savent en composer, recèle également le résultat de ce pourquoi Mercer s'est tant creusé le crane pendant sa conception. Au niveau du son tout d'abord : le rendu final est très synthétique (le son lo-fi de Oh, Inverted World est on ne peut plus loin), sautillant même j'ai envie de dire, de nombreux éléments électroniques sont présents, les couches d'instruments se superposent comme jamais. Ensuite, certains morceaux sont réellement ambitieux dans leur construction et leur instrumentation, aboutissement des recherches et expérimentations de Mercer. Même les morceaux les plus "shinsisants" du disque renferment les germes de cette (r)évolution. Enfin, et c'est bien l'essentiel, Port Of Morrow sonne comme du Shins, tout simplement. Au niveau des paroles, des thèmes abordés, Mercer nous parle de sa récente paternité et de comment cela a changé sa vie. Il évoque aussi des souvenirs de sa jeunesse passée en Allemagne et la difficile transition qu'a été pour lui sa venue aux États-Unis pendant son adolescence.
Les deux premiers tiers de l'album sont composés de morceaux qui se rapprochent le plus du travail antérieur du groupe, soit des titres aux qualités pop indiscutables : pour les morceaux rythmés, le grisant "Bait and Switch", sa guitare agile et virevoltante qui répond à un élégant piano tout au long du morceau, "No Way Down" et son solo de guitare tordu (mon petit préféré de la galette), solaire et tellement entraînant d'un bout à l'autre, "Simple Song", premier single de l'album, d'une évidente simplicité et efficacité que c'en est presque agaçant ! Quant à "The Rifle's Spiral", ouverture du disque, elle nous donne les premières pistes pour appréhender au mieux le nouveau son du groupe. Pour les titres plus lents, les balades que sont "It's Only Life" et "September", drapée d'une belle partie de lap steel, c'est le même constat, une apparence de classicisme où les innovations fourmillent pourtant. Tous ces morceaux, bien que rentrant dans le canon habituel du groupe, regorgent de trouvailles, de détails, qui mettent en exergue l'évident talent d'orfèvre pop de Mercer et valident toute l'évolution de sa musique : les parties et autres nappes de claviers abondent dans la majorité des titres, des sons électroniques s'y nichent parfaitement et apportent réellement aux chansons. Lister tous ces apports serait long (et ma chronique l'est déjà beaucoup trop !), je vous en laisse donc juge et vous incite à écouter attentivement lesdits morceaux.
Passons maintenant aux titres qui se démarquent pour moi davantage de ce à quoi les Shins nous avaient jusqu'ici habitués, les quatre derniers composant ce Port Of Morrow. Plus ambitieux et entreprenants dans leur construction et leur instrumentation, ils constituent une réelle rupture avec les Shins d'avant. Si "For A Fool" a elle aussi une allure classique, elle dégage à mes yeux quelque chose d'assez inédit chez eux. Sont-ce ces délicates nappes de claviers, cette batterie discrète ? Je ne saurais vraiment le dire. Avec "Fall Of '82", c'est la même sensation : le rythme de la chanson est plutôt original, là aussi les éléments électroniques habillent de belle manière l'ensemble. Mais c'est la trompette, une première chez les Shins, qui donne sa couleur au morceau. Et c'est très réussi. Sur "40 Mark Strasse", c'est une sensation de légèreté qui nous saisit, les claviers, la guitare acoustique et les voix entremêlées y contribuant beaucoup. Enfin, dernière piste du disque, l'éponyme "Port Of Morrow" fait éclater tous les repères : la voix plus haute qu'à l'accoutumée alternant avec son timbre normal, James Mercer nous emmène très loin. C'est ici que l'influence de Broken Bells et de son travail avec Danger Mouse se fait le plus ressentir, allant même plus loin. Aérien, subtil, réellement ambitieux, ne ressemblant en rien à ce que les Shins ont produit jusqu'ici, ce titre est le témoignage le plus prégnant de la métamorphose musicale de son géniteur. Et c'est une formidable conclusion à ce disque vraiment enthousiasmant.
Que retenir de tout ça ? Et bien que Mercer a relevé son pari haut la main. Sa volonté de changer ses habitudes en termes de techniques d'enregistrement, de collaborations, de composition, d'approche de son art est ici idéalement transposée. Si les morceaux composant Port Of Morrow sont pour la plupart de facture somme toute assez classique, ce sont les détails de production, les ajouts instrumentaux plus ou moins mis en avant, les arrangements plus élaborés et riches qu'à l'accoutumée qui font toute la différence avec l'œuvre passée des Shins. Toujours doté de son formidable talent de compositeur de perles pop évidentes et immédiates, James Mercer s'est transcendé et sa musique a suivi le même chemin, empruntant des voies inédites pour les Shins. Et le résultat est vraiment à la hauteur de ses ambitions de départ, renouvelant en profondeur la musique de son groupe. Reste maintenant à savoir s'il nous faudra attendre de nouveau cinq longues années pour avoir un successeur à ce disque inattendu et rafraîchissant. Je ne l'espère pas !
Sa collaboration à partir de 2008 (leur rencontre remontant à 2004 au Roskilde Festival) avec le musicien et producteur Brian Burton (aka Danger Mouse) allait le remettre d'aplomb, à travers le projet Broken Bells et la sortie d'un premier album éponyme en 2010, où la sensibilité pop de Mercer s'unit avantageusement avec les aspirations plus synthétiques de Burton. Cette rencontre fut importante à plus d'un titre pour Mercer. D'abord, il retrouva l'inspiration, l'envie de composer pour les Shins. Elle lui permit également d'expérimenter davantage en studio et de rencontrer de nouveaux musiciens. Séduit par cette nouvelle approche, il voulut persévérer dans cette voie et maintenir cet élan créatif au sein de son propre groupe. Il prit alors la dure décision de congédier Dave Hernandez, Martin Crandall et Jesse Sandoval de la formation, les musiciens qui l'accompagnaient pourtant depuis ses débuts, Sandoval en premier lieu, puisque Mercer et lui furent tout simplement les deux membres fondateurs du groupe en 1996, à la suite de Flake Music. Mais voulant résolument entrer dans une nouvelle phase artistique et créative pour The Shins, Mercer ne put agir autrement que par cette décision radicale. Il quitta également Sub Pop pour fonder son propre label, Aural Apothecary, sur lequel les disques des Shins seront dorénavant publiés.
Se retrouvant unique membre du groupe et ayant réussi à surmonter ses appréhensions quant à la collaboration avec d'autres musiciens, il se lança dans la création de ce Port Of Morrow, dont les premiers stages d'élaboration remontent à 2009. L'enregistrement de l'album en lui-même s'étendit de mars à octobre 2011. Il s'adjoignit les services du producteur Greg Kurstin, qui l'incita à expérimenter en studio et qui joue également de nombreux instruments sur le disque. Mercer s'entoura de nombreux musiciens, dont Joe Plummer à la batterie (membre notamment de Modest Mouse), Ron Lewis à la basse, Eric D. Johnson (le leader des Fruit Bats) au piano, clavier et chœurs ou encore ses anciens compères Dave Hernandez à la guitare et Marty Crandall aux claviers, preuve que la rupture précédemment évoquée n'était pas irrémédiable. Maintenant, et il serait enfin temps, abordons cet album plus précisément. Ces cinq interminables années d'attente en ont-elles valu la peine ? Le génie pop de James Mercer est-il intact ? Sa volonté d'évoluer, d'expérimenter a-t-elle porté ses fruits ? À ces trois questions, une seule réponse : oui !
L'attente est en effet récompensée puisque cet album, tout en comprenant de purs morceaux comme les Shins savent en composer, recèle également le résultat de ce pourquoi Mercer s'est tant creusé le crane pendant sa conception. Au niveau du son tout d'abord : le rendu final est très synthétique (le son lo-fi de Oh, Inverted World est on ne peut plus loin), sautillant même j'ai envie de dire, de nombreux éléments électroniques sont présents, les couches d'instruments se superposent comme jamais. Ensuite, certains morceaux sont réellement ambitieux dans leur construction et leur instrumentation, aboutissement des recherches et expérimentations de Mercer. Même les morceaux les plus "shinsisants" du disque renferment les germes de cette (r)évolution. Enfin, et c'est bien l'essentiel, Port Of Morrow sonne comme du Shins, tout simplement. Au niveau des paroles, des thèmes abordés, Mercer nous parle de sa récente paternité et de comment cela a changé sa vie. Il évoque aussi des souvenirs de sa jeunesse passée en Allemagne et la difficile transition qu'a été pour lui sa venue aux États-Unis pendant son adolescence.
Les deux premiers tiers de l'album sont composés de morceaux qui se rapprochent le plus du travail antérieur du groupe, soit des titres aux qualités pop indiscutables : pour les morceaux rythmés, le grisant "Bait and Switch", sa guitare agile et virevoltante qui répond à un élégant piano tout au long du morceau, "No Way Down" et son solo de guitare tordu (mon petit préféré de la galette), solaire et tellement entraînant d'un bout à l'autre, "Simple Song", premier single de l'album, d'une évidente simplicité et efficacité que c'en est presque agaçant ! Quant à "The Rifle's Spiral", ouverture du disque, elle nous donne les premières pistes pour appréhender au mieux le nouveau son du groupe. Pour les titres plus lents, les balades que sont "It's Only Life" et "September", drapée d'une belle partie de lap steel, c'est le même constat, une apparence de classicisme où les innovations fourmillent pourtant. Tous ces morceaux, bien que rentrant dans le canon habituel du groupe, regorgent de trouvailles, de détails, qui mettent en exergue l'évident talent d'orfèvre pop de Mercer et valident toute l'évolution de sa musique : les parties et autres nappes de claviers abondent dans la majorité des titres, des sons électroniques s'y nichent parfaitement et apportent réellement aux chansons. Lister tous ces apports serait long (et ma chronique l'est déjà beaucoup trop !), je vous en laisse donc juge et vous incite à écouter attentivement lesdits morceaux.
Passons maintenant aux titres qui se démarquent pour moi davantage de ce à quoi les Shins nous avaient jusqu'ici habitués, les quatre derniers composant ce Port Of Morrow. Plus ambitieux et entreprenants dans leur construction et leur instrumentation, ils constituent une réelle rupture avec les Shins d'avant. Si "For A Fool" a elle aussi une allure classique, elle dégage à mes yeux quelque chose d'assez inédit chez eux. Sont-ce ces délicates nappes de claviers, cette batterie discrète ? Je ne saurais vraiment le dire. Avec "Fall Of '82", c'est la même sensation : le rythme de la chanson est plutôt original, là aussi les éléments électroniques habillent de belle manière l'ensemble. Mais c'est la trompette, une première chez les Shins, qui donne sa couleur au morceau. Et c'est très réussi. Sur "40 Mark Strasse", c'est une sensation de légèreté qui nous saisit, les claviers, la guitare acoustique et les voix entremêlées y contribuant beaucoup. Enfin, dernière piste du disque, l'éponyme "Port Of Morrow" fait éclater tous les repères : la voix plus haute qu'à l'accoutumée alternant avec son timbre normal, James Mercer nous emmène très loin. C'est ici que l'influence de Broken Bells et de son travail avec Danger Mouse se fait le plus ressentir, allant même plus loin. Aérien, subtil, réellement ambitieux, ne ressemblant en rien à ce que les Shins ont produit jusqu'ici, ce titre est le témoignage le plus prégnant de la métamorphose musicale de son géniteur. Et c'est une formidable conclusion à ce disque vraiment enthousiasmant.
Que retenir de tout ça ? Et bien que Mercer a relevé son pari haut la main. Sa volonté de changer ses habitudes en termes de techniques d'enregistrement, de collaborations, de composition, d'approche de son art est ici idéalement transposée. Si les morceaux composant Port Of Morrow sont pour la plupart de facture somme toute assez classique, ce sont les détails de production, les ajouts instrumentaux plus ou moins mis en avant, les arrangements plus élaborés et riches qu'à l'accoutumée qui font toute la différence avec l'œuvre passée des Shins. Toujours doté de son formidable talent de compositeur de perles pop évidentes et immédiates, James Mercer s'est transcendé et sa musique a suivi le même chemin, empruntant des voies inédites pour les Shins. Et le résultat est vraiment à la hauteur de ses ambitions de départ, renouvelant en profondeur la musique de son groupe. Reste maintenant à savoir s'il nous faudra attendre de nouveau cinq longues années pour avoir un successeur à ce disque inattendu et rafraîchissant. Je ne l'espère pas !
Excellent ! 18/20 | par Poukram |
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