Jean Michel Jarre
Oxygène |
Label :
Les Disques Motors |
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Qu'est ce que je pourrais bien vous dire sur cet album... Tout le monde le connait, ne serait ce que de loin, ne serait ce que sa pochette, illustrée par une oeuvre de Michel Grangé. Et "Oxygène Part IV", grand classique parmi les classiques, et pas seulement dans l'oeuvre de Jean Michel Jarre. C'est un classique tout court.
Ce disque, il y a encore quelques années, on était certain de le trouver dans n'importe quelle brocante ou vide-grenier, à un prix dérisoire, entre un maxi-45t d'"Ethiopie", avec sa belle photo de famille au verso, et les plus belles chansons de Michelle Torr.
Avec son compère Equinoxe, sorti deux ans plus tard et également illustré par Michel Grangé, ils faisaient une paire qu'on pouvait acquérir pour quelques euros. Voire moins que ça. On doit toujours pouvoir le trouver pour rien d'ailleurs, malgré la récente réédition causée par la sortie d'Oxygène 3, en 2016. Oxygène 2, ou plutôt Oxygène 7-13, est quant à lui sorti en 97. Forcément, quand on vend, ne serait-ce qu'en France, presque 1,8 millions d'exemplaire, et dix fois plus dans le monde depuis 40 ans, on en retrouve fatalement des milliers sur le bord de la route.
Donc oui, Oxygène est un succès commercial. Evidemment. C'est d'ailleurs un argument largement suffisant à certains pour le dénigrer, car succès commercial équivaudrait presque à de la prostitution musicale, surtout quand Trans-Europe Express sort quelques mois plus tard, en mars 77.
Bien sûr, on peut se dire qu'il aurait pu choisir un chemin plus élitiste, lui qui rejoignit à 20 piges le GRM (Groupe de Recherche Musicales) de Pierre Schaeffer, qui côtoya Parmegiani et Stockhausen et qui s'illustra par des pièces de musique électroacoustique (étonnants titres que l'on peut retrouver, par exemple, sur Essentials & Rarities, double compilation de 2011). Lui qui écrivit "Les Mots Bleus" pour Christophe en 74, ou l'album Les Paradis Perdus l'année précédente.
Cette collaboration, suivie par l'expérience d'être le parolier/producteur de Patrick Juvet avant sa fulgurante carrière disco américaine, furent peut être le déclic, le moment où il se dit qu'il pourrait faire de la pop, de la musique populaire, avec des synthétiseurs, sans tomber dans la gaudriole ou dans la facilité. Pour ça il utilisera le pseudo de Pop Corn Orchestra and Jamie Jefferson et reprendra, vous l'aurez deviné, le "Pop-Corn" de Gershon Kingsley, en 73. Et oui, la version de Hot Butter était déjà du pompage.
Enregistré chez lui, sur un magnétophone huit pistes, le disque prend forme au cours de l'été et sort en décembre, avant qu'il ne reparte pour enregistrer "La Dolce Vita" avec Christophe, et "Où Sont Les Femmes", avec l'ami Juvet.
L'album a tout pour se casser la gueule. Deux premiers titres de plus de sept minutes qui n'en font qu'un seul, des grandes vagues synthétiques, une ambiance qu'on pourrait facilement qualifier de planante, de musique d'ambiance (qui a dit d'ascenseur ?) des sons étranges, qui naviguent joliment dans la stéréo, et c'est seulement dans la neuvième minute qu'une mélodie franche nous arrive. Tellement pop cette petite mélodie ! Elle aguiche, fascine, un peu trop aiguë pour être honnête, Elle s'en va et elle revient, faite de tous petits riens... Ça revient ça se retient. Il avait raison Claude, c'est peut être bien ça, une chanson populaire. Cette petite mélodie, escortée par ces sons stellaires, une sorte de refrain, qui transfigure le tout synthétique pour arriver au premier point d'accroche d'Oxygène, au premier vrai lien de l'album entre l'expérimentation et la pop. Quelque chose de rassurant, qui permet de recoller les oreilles qui auraient pu se perdre dans les méandres stéréophoniques. Il joue beaucoup avec ça, perdre l'auditeur pour mieux le raccrocher, comme avec les "Part III" & "Part IV", la première vraie pause, car il faut bien changer de face à un moment, annoncée par des chants d'oiseaux, précédée d'une ambiance à la Wendy Carlos, avant de nous sortir la pierre angulaire de l'album, celle qui attaque la seconde face, le classique. On peut même parler de tube je pense. J'ose. C'est pas vraiment risqué en même temps. Elle déboule sans crier cette "Part IV", surprenant son monde, puis s'évapore, pour retrouver une influence quasiment baroque, la "Part V" étant, à mon sens, très inspirée par l'Ouverture n° 3 en ré majeur de Bach. Mais si, vous la connaissez, vous avez forcément déjà entendu le second mouvement qui se fait appeler "Air", dont Wendy Carlos, encore elle, a fait une superbe adaptation au Moog sur son très recommandable Switched-On Bach de 1968.
C'est une inspiration, une évocation, ne vous attendez pas à reconnaître le sample utilisé par Sweetbox en 97, il développe durant dix pleines minutes quelque chose de feutré, comme une sieste. Une sieste magnético-baroque, aux accents Moroderiens. Rien que ça. Avec une magie spatiale, un développement des sons qui modulent de gauche à droite, et l'océan. L'océan synthétique, les mouettes analogiques, la conclusion presque balnéaire de ce voyage immersif, bien plus intense qu'il n'y parait.
Car oui, Jean Michel Jarre, ce n'est pas que les concerts géants, les Pyramides, la harpe magnétique, les feux d'artifices de votre enfance, les Rendez-Vous n°4 appris à la flûte à bec au collège (véridique, en tout cas pour moi). Et même si ce n'était que ça, ce serait déjà énorme pour un seul homme. C'est aussi (surtout ?) une ambition, celle de parler au plus grand nombre, sans pour autant tomber dans la facilité. Il n'y a pas non plus le coté pédant et rébarbatif de l'homme qui s'abaisse au niveau de la plèbe pour lui faire comprendre son art, genre le fan de Jazz qui vous coupe toute envie d'écouter d'autres albums de Miles Davis (un exemple parmi d'autres), après l'avoir écouté étaler sa science, ou réciter ce qu'il a lu faisant croire que tout vient de lui, alors que vous lui avez juste dit que vous aviez vu Ascenseur pour l'Echafaud la veille.
Jean Michel n'est pas ce gars là. Ce serait plutôt le gars qui te laisse choisir. Avec Oxygène, on peut tenir là une bonne porte d'entrée pour autre chose. On apprivoise le son, doucement, sans rien qui fasse saigner les tympans, sans tomber non plus dans l'easy listening. Ce disque pourrait être donc une porte, et on a le choix. on pourrait la laisser close, l'entrouvrir timidement ou l'enfoncer, la détailler ou la regarder, comme ça, en passant, voire même l'ignorer totalement. Il a posé son disque, là, il y a plus de quarante ans, à vous de voir. Les clés sont à votre portée.
Ce disque, il y a encore quelques années, on était certain de le trouver dans n'importe quelle brocante ou vide-grenier, à un prix dérisoire, entre un maxi-45t d'"Ethiopie", avec sa belle photo de famille au verso, et les plus belles chansons de Michelle Torr.
Avec son compère Equinoxe, sorti deux ans plus tard et également illustré par Michel Grangé, ils faisaient une paire qu'on pouvait acquérir pour quelques euros. Voire moins que ça. On doit toujours pouvoir le trouver pour rien d'ailleurs, malgré la récente réédition causée par la sortie d'Oxygène 3, en 2016. Oxygène 2, ou plutôt Oxygène 7-13, est quant à lui sorti en 97. Forcément, quand on vend, ne serait-ce qu'en France, presque 1,8 millions d'exemplaire, et dix fois plus dans le monde depuis 40 ans, on en retrouve fatalement des milliers sur le bord de la route.
Donc oui, Oxygène est un succès commercial. Evidemment. C'est d'ailleurs un argument largement suffisant à certains pour le dénigrer, car succès commercial équivaudrait presque à de la prostitution musicale, surtout quand Trans-Europe Express sort quelques mois plus tard, en mars 77.
Bien sûr, on peut se dire qu'il aurait pu choisir un chemin plus élitiste, lui qui rejoignit à 20 piges le GRM (Groupe de Recherche Musicales) de Pierre Schaeffer, qui côtoya Parmegiani et Stockhausen et qui s'illustra par des pièces de musique électroacoustique (étonnants titres que l'on peut retrouver, par exemple, sur Essentials & Rarities, double compilation de 2011). Lui qui écrivit "Les Mots Bleus" pour Christophe en 74, ou l'album Les Paradis Perdus l'année précédente.
Cette collaboration, suivie par l'expérience d'être le parolier/producteur de Patrick Juvet avant sa fulgurante carrière disco américaine, furent peut être le déclic, le moment où il se dit qu'il pourrait faire de la pop, de la musique populaire, avec des synthétiseurs, sans tomber dans la gaudriole ou dans la facilité. Pour ça il utilisera le pseudo de Pop Corn Orchestra and Jamie Jefferson et reprendra, vous l'aurez deviné, le "Pop-Corn" de Gershon Kingsley, en 73. Et oui, la version de Hot Butter était déjà du pompage.
Enregistré chez lui, sur un magnétophone huit pistes, le disque prend forme au cours de l'été et sort en décembre, avant qu'il ne reparte pour enregistrer "La Dolce Vita" avec Christophe, et "Où Sont Les Femmes", avec l'ami Juvet.
L'album a tout pour se casser la gueule. Deux premiers titres de plus de sept minutes qui n'en font qu'un seul, des grandes vagues synthétiques, une ambiance qu'on pourrait facilement qualifier de planante, de musique d'ambiance (qui a dit d'ascenseur ?) des sons étranges, qui naviguent joliment dans la stéréo, et c'est seulement dans la neuvième minute qu'une mélodie franche nous arrive. Tellement pop cette petite mélodie ! Elle aguiche, fascine, un peu trop aiguë pour être honnête, Elle s'en va et elle revient, faite de tous petits riens... Ça revient ça se retient. Il avait raison Claude, c'est peut être bien ça, une chanson populaire. Cette petite mélodie, escortée par ces sons stellaires, une sorte de refrain, qui transfigure le tout synthétique pour arriver au premier point d'accroche d'Oxygène, au premier vrai lien de l'album entre l'expérimentation et la pop. Quelque chose de rassurant, qui permet de recoller les oreilles qui auraient pu se perdre dans les méandres stéréophoniques. Il joue beaucoup avec ça, perdre l'auditeur pour mieux le raccrocher, comme avec les "Part III" & "Part IV", la première vraie pause, car il faut bien changer de face à un moment, annoncée par des chants d'oiseaux, précédée d'une ambiance à la Wendy Carlos, avant de nous sortir la pierre angulaire de l'album, celle qui attaque la seconde face, le classique. On peut même parler de tube je pense. J'ose. C'est pas vraiment risqué en même temps. Elle déboule sans crier cette "Part IV", surprenant son monde, puis s'évapore, pour retrouver une influence quasiment baroque, la "Part V" étant, à mon sens, très inspirée par l'Ouverture n° 3 en ré majeur de Bach. Mais si, vous la connaissez, vous avez forcément déjà entendu le second mouvement qui se fait appeler "Air", dont Wendy Carlos, encore elle, a fait une superbe adaptation au Moog sur son très recommandable Switched-On Bach de 1968.
C'est une inspiration, une évocation, ne vous attendez pas à reconnaître le sample utilisé par Sweetbox en 97, il développe durant dix pleines minutes quelque chose de feutré, comme une sieste. Une sieste magnético-baroque, aux accents Moroderiens. Rien que ça. Avec une magie spatiale, un développement des sons qui modulent de gauche à droite, et l'océan. L'océan synthétique, les mouettes analogiques, la conclusion presque balnéaire de ce voyage immersif, bien plus intense qu'il n'y parait.
Car oui, Jean Michel Jarre, ce n'est pas que les concerts géants, les Pyramides, la harpe magnétique, les feux d'artifices de votre enfance, les Rendez-Vous n°4 appris à la flûte à bec au collège (véridique, en tout cas pour moi). Et même si ce n'était que ça, ce serait déjà énorme pour un seul homme. C'est aussi (surtout ?) une ambition, celle de parler au plus grand nombre, sans pour autant tomber dans la facilité. Il n'y a pas non plus le coté pédant et rébarbatif de l'homme qui s'abaisse au niveau de la plèbe pour lui faire comprendre son art, genre le fan de Jazz qui vous coupe toute envie d'écouter d'autres albums de Miles Davis (un exemple parmi d'autres), après l'avoir écouté étaler sa science, ou réciter ce qu'il a lu faisant croire que tout vient de lui, alors que vous lui avez juste dit que vous aviez vu Ascenseur pour l'Echafaud la veille.
Jean Michel n'est pas ce gars là. Ce serait plutôt le gars qui te laisse choisir. Avec Oxygène, on peut tenir là une bonne porte d'entrée pour autre chose. On apprivoise le son, doucement, sans rien qui fasse saigner les tympans, sans tomber non plus dans l'easy listening. Ce disque pourrait être donc une porte, et on a le choix. on pourrait la laisser close, l'entrouvrir timidement ou l'enfoncer, la détailler ou la regarder, comme ça, en passant, voire même l'ignorer totalement. Il a posé son disque, là, il y a plus de quarante ans, à vous de voir. Les clés sont à votre portée.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par X_Lok |
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