Supreme Dicks
The Unexamined Life |
Label :
Homestead |
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Dix ans pour faire un album : ce n'est pas que l'enregistrement s'est réalisé dans la douleur, c'est juste que l'indolence de ce groupe ralentit les envies de produire.
Et ça s'entend : paresseux au possible, les titres s'enchaînent difficilement à l'allure d'une limace, tellement la maladie et la neurasthénie semblent ancré à cette formation new-yorkaise.
D'une beauté mollassonne, cet album enregistré dans le garage, rampe littéralement, comme s'il se traînait avec douleur. Le chant est négligeant, légèrement aliéné, fainéant, limite faux. C'est à peine s'il se fait pousser dans le dos par des guitares électriques qui refuseraient toute idée de vitesse. Les titres s'effacent pour ne devenir que la déposition de toutes petites mélodies déclinées faiblement, soutenue à peine par une batterie un peu molle mais un peu fofolle aussi.
Les Supreme Dicks partageaient, avec Palace Brothers, Idaho, Opal ou Freakwater, entre autres, ce même état d'âme, emprunt de lassitude et de modestie, qui leur donnait une raison suffisante pour se barricader et retarder la parution d'un quelconque album. Cette grande famille du rock américain qui préférait revisiter ses troubles intérieurs plutôt que de s'épancher sur la gloire, donna naissance au sadcore, mouvement musical des années 90 qui porta admirablement bien son nom ("sad" pour triste en anglais). Avant tout une ode au spleen maladif, The Unexamined Life oublie tout du savoir-vivre et des bonnes règles pour mieux se nourrir du bien-fondé du rock crasseux.
"In A Sweet Song", en ouverture, fait le grand écart entre somnolence et fougue mal fagotée, de manière aussi sublime que bizarre. La folie n'est jamais bien loin d'ailleurs, par exemple sur un "alléluia" halluciné scandé lors de "The Arabian Song" avant la prise de pouvoir de flûtes à bec, ou bien sur l'instrumental "Hyacinth Girl". L'impression constante qu'on a à faire à des gens dérangés, se situant à la frontière de l'amateurisme et de l'authenticité ("Ten Past Eleven"), renforce ce sentiment d'abattement qui marque cet album. Le ton est déprimant et les notes sont carrément arrachées des instruments, comme si cela était une torture pour ces hommes de s'exprimer, eux qui voudraient garder leurs névroses secrètes. Mais chacun des accords qui réussit à paraître, n'en ressort que encore plus beau et magnifique de mélancolie, comme sur l'intro de "The Sun's Bells" ou sur l'entraînant "Jack-O-Lantern". Cette intimité qui est créée grâce à cette flemme partagée finit par rendre les morceaux attachants, que ce soit de petites ballades à la guitare sèche ("Azure Dome") ou des berceuses susurrées ("Jack Smith"). Mais souvent le malaise reprend le dessus et ces complaintes déchirantes sont lacérées d'agressions électriques, relevant du défouloir sonore ("The Fallout Song").
Les propos font mal et on est traumatisé par cette exposition crue et directe de désespoir. Pas de soleil ici, hormis peut-être celle d'une bougie, et encore dont la cire serait bientôt épuisée. Les textes sont d'une tristesse aussi confondante que ne l'est le cynisme avec lequel ils sont prononcés d'une voix cyclothymique.
Cet album extraordinaire se déguste lentement, avec attention car les douces mélodies ne font quasiment pas de bruit et qu'elles n'osent jamais se mettre en avant. Par exemple celle de "Garden Of Your Past", absolument mirifique, s'arrête brusquement et disparaît avant même d'éclater, comme s'il s'agissait uniquement d'une intro. "River Song", pourtant évidente, flirte avec la nonchalance.
La beauté transperce pourtant de toute part et la fragilité que l'on ressent sans cesse dans ces déséquilibres lui enlève tout fard. Sans artifices, la tristesse est ici sublimée. Confidentiel et furtif, le génie de ce groupe se partage dans un hamac, à la limite de la rêverie, sans parasite qui pourrait gêner l'une des deux oreilles, le son ne dépassant quelque fois jamais le bruit d'une chute d'oreiller. Ici ou là, le chanteur marmonne, débite son délire de pochard, avant de piquer un roupillon pendant que les guitares brumeuses se perdent dans l'apathie ("The Forest Song").
Un témoignage comme celui-là on voudrait rarement en rencontrer tant cette beauté serre à la gorge et n'a jamais semblé si difficile d'accès, comme si on l'avait surpris sortir de sa tanière. Découverte, elle se recroqueville très vite derrière un n'importe-quoi sonore, à l'image de ce "Strange Song" de fin, où Lou Barlow, un autre panda bien connu, vient participer à ce rendez-vous d'amateurs d'anti-dépresseurs prêts à se noyer dans leur propre déboire.
Ces chansons rustiques, sans soucis de correction, aussi grinçantes que remarquables de grâce, perdent toute idée de pudeur et laissent atterrir les crachas d'une vie morne et abandonnée.
Et ça s'entend : paresseux au possible, les titres s'enchaînent difficilement à l'allure d'une limace, tellement la maladie et la neurasthénie semblent ancré à cette formation new-yorkaise.
D'une beauté mollassonne, cet album enregistré dans le garage, rampe littéralement, comme s'il se traînait avec douleur. Le chant est négligeant, légèrement aliéné, fainéant, limite faux. C'est à peine s'il se fait pousser dans le dos par des guitares électriques qui refuseraient toute idée de vitesse. Les titres s'effacent pour ne devenir que la déposition de toutes petites mélodies déclinées faiblement, soutenue à peine par une batterie un peu molle mais un peu fofolle aussi.
Les Supreme Dicks partageaient, avec Palace Brothers, Idaho, Opal ou Freakwater, entre autres, ce même état d'âme, emprunt de lassitude et de modestie, qui leur donnait une raison suffisante pour se barricader et retarder la parution d'un quelconque album. Cette grande famille du rock américain qui préférait revisiter ses troubles intérieurs plutôt que de s'épancher sur la gloire, donna naissance au sadcore, mouvement musical des années 90 qui porta admirablement bien son nom ("sad" pour triste en anglais). Avant tout une ode au spleen maladif, The Unexamined Life oublie tout du savoir-vivre et des bonnes règles pour mieux se nourrir du bien-fondé du rock crasseux.
"In A Sweet Song", en ouverture, fait le grand écart entre somnolence et fougue mal fagotée, de manière aussi sublime que bizarre. La folie n'est jamais bien loin d'ailleurs, par exemple sur un "alléluia" halluciné scandé lors de "The Arabian Song" avant la prise de pouvoir de flûtes à bec, ou bien sur l'instrumental "Hyacinth Girl". L'impression constante qu'on a à faire à des gens dérangés, se situant à la frontière de l'amateurisme et de l'authenticité ("Ten Past Eleven"), renforce ce sentiment d'abattement qui marque cet album. Le ton est déprimant et les notes sont carrément arrachées des instruments, comme si cela était une torture pour ces hommes de s'exprimer, eux qui voudraient garder leurs névroses secrètes. Mais chacun des accords qui réussit à paraître, n'en ressort que encore plus beau et magnifique de mélancolie, comme sur l'intro de "The Sun's Bells" ou sur l'entraînant "Jack-O-Lantern". Cette intimité qui est créée grâce à cette flemme partagée finit par rendre les morceaux attachants, que ce soit de petites ballades à la guitare sèche ("Azure Dome") ou des berceuses susurrées ("Jack Smith"). Mais souvent le malaise reprend le dessus et ces complaintes déchirantes sont lacérées d'agressions électriques, relevant du défouloir sonore ("The Fallout Song").
Les propos font mal et on est traumatisé par cette exposition crue et directe de désespoir. Pas de soleil ici, hormis peut-être celle d'une bougie, et encore dont la cire serait bientôt épuisée. Les textes sont d'une tristesse aussi confondante que ne l'est le cynisme avec lequel ils sont prononcés d'une voix cyclothymique.
Cet album extraordinaire se déguste lentement, avec attention car les douces mélodies ne font quasiment pas de bruit et qu'elles n'osent jamais se mettre en avant. Par exemple celle de "Garden Of Your Past", absolument mirifique, s'arrête brusquement et disparaît avant même d'éclater, comme s'il s'agissait uniquement d'une intro. "River Song", pourtant évidente, flirte avec la nonchalance.
La beauté transperce pourtant de toute part et la fragilité que l'on ressent sans cesse dans ces déséquilibres lui enlève tout fard. Sans artifices, la tristesse est ici sublimée. Confidentiel et furtif, le génie de ce groupe se partage dans un hamac, à la limite de la rêverie, sans parasite qui pourrait gêner l'une des deux oreilles, le son ne dépassant quelque fois jamais le bruit d'une chute d'oreiller. Ici ou là, le chanteur marmonne, débite son délire de pochard, avant de piquer un roupillon pendant que les guitares brumeuses se perdent dans l'apathie ("The Forest Song").
Un témoignage comme celui-là on voudrait rarement en rencontrer tant cette beauté serre à la gorge et n'a jamais semblé si difficile d'accès, comme si on l'avait surpris sortir de sa tanière. Découverte, elle se recroqueville très vite derrière un n'importe-quoi sonore, à l'image de ce "Strange Song" de fin, où Lou Barlow, un autre panda bien connu, vient participer à ce rendez-vous d'amateurs d'anti-dépresseurs prêts à se noyer dans leur propre déboire.
Ces chansons rustiques, sans soucis de correction, aussi grinçantes que remarquables de grâce, perdent toute idée de pudeur et laissent atterrir les crachas d'une vie morne et abandonnée.
Parfait 17/20 | par Vic |
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