Jay Jay Johanson
Self Portrait |
Label :
EMI |
||||
Jay-Jay Johanson est réellement un artiste aventureux. Alors qu'il détient les clés d'un Trip-Hop de qualité exceptionnelle, il n'a pas hésité à prendre à contre-pied son public et les critiques sur deux albums d'electro d'excellente facture mais incompris. Alors qu'on pensait avoir retrouvé son style des débuts sur le fantastique The Long Term Physical Effects Are Known Yet, le voilà qui nous surprend une nouvelle fois.
La superbe pochette de son nouvel album et son titre, Self-Portrait, laissaient présager une œuvre intimiste, et c'est effectivement le cas. Jäje prend à nouveau des risques en abandonnant les machines qui font succès depuis plus de dix ans. Sur Self-Portrait l'électronique se fait très discrète : tout au plus trouvera-t-on quelques nappes de synthétiseurs en fond sonores sur quelques morceaux. Désormais, c'est avec un piano que Jay-Jay s'exprime. Et cet instrument va se révéler idéal pour exprimer l'état de morosité dans le lequel se trouve Jay-Jay. Au cours de cette dernière année, il semble avoir beaucoup souffert, et Self-Portrait est empli d'une tristesse infinie, bien plus que sur n'importe quel autre de ses albums.
Le piano est donc à l'honneur sur ce disque. Parfois, il est le seul accompagnement de la voix de velours du crooner, comme sur le déchirant "Liar". Discret sur le torturé "My Mother's Grave", il se fait pesant et tendu sur un "Bleeding Nose" plein de souffrance. Ce dernier morceau est vraiment très violent, que ce soit au niveau du thème, des paroles, du chant ou du jeu de piano.
Lorsque le piano est accompagné, les arrangements somptueux concourent à créer de véritables perles noires. Cordes, pizzicati, clavecins, percussions discrètes confèrent à ces morceaux une intensité dramatique rare. L'ouverture "Wonder Wonders" est d'une beauté à glacer le sang. Malgré son ambiance jazzy, la mélodie et la voix fragile de Jay-Jay expriment une rare tristesse. Mais cette tristesse est nuancée : avec "Lightning Strike" et "Autumn Winter Spring", l'association de percussions mystérieuses et de cordes élégiaques donne naissance à des morceaux clairs-obscurs hallucinants de grâce, plongés dans une sorte de torpeur enivrante. "Trauma" et "Medicine", au contraire, ne font aucune concession. L'atmosphère est extrêmement froide et sombre, sans aucune équivoque, par l'utilisation d'angoissantes percussions et nappes de synthétiseurs. "Make Her Mine" est peut-être un peu plus chaude, mais c'est un véritable cri de détresse, où les violons tragiques soutiennent admirablement la voix suppliante de Jay-Jay. Quant à "Sore", c'est une sinistre marche funèbre, au rythme ankylosé et se finissant sur une terrible partie instrumentale.
Les textes de Jay-Jay accentuent cette impression de malaise. Pudique mais très juste, l'artiste neurasthénique nous parle de trahison (‘If I tell you I love you, would that make me a liar too?'), de solitude et d'isolation (‘The sound of silence is what's left when the ghosts come out at night'), de jalousie et de violence (‘Broken nose, broken heart, the healing process doesn't know where to start') ou du regret de l'être aimé. La plume du Suédois est d'une sensibilité extrême, sans aucune concession mais ne tombe pas dans le misérabilisme.
Self-Portrait est une œuvre magistrale issue d'une âme en détresse. Musicalement inspiré, Jay-Jay Johanson met en musique son état inquiétant. Il souffre énormément, et l'écoute de l'album est saisissante, douloureuse, nous faisant entrevoir une partie de son désarroi. En résulte une œuvre incroyablement sombre, complexe où l'alchimie entre composition, arrangements, chants et écriture est impressionnante. Complètement habité, chanté avec passion et au bord de la rupture, ce terrible autoportrait a tout d'une authentique toile de maître.
La superbe pochette de son nouvel album et son titre, Self-Portrait, laissaient présager une œuvre intimiste, et c'est effectivement le cas. Jäje prend à nouveau des risques en abandonnant les machines qui font succès depuis plus de dix ans. Sur Self-Portrait l'électronique se fait très discrète : tout au plus trouvera-t-on quelques nappes de synthétiseurs en fond sonores sur quelques morceaux. Désormais, c'est avec un piano que Jay-Jay s'exprime. Et cet instrument va se révéler idéal pour exprimer l'état de morosité dans le lequel se trouve Jay-Jay. Au cours de cette dernière année, il semble avoir beaucoup souffert, et Self-Portrait est empli d'une tristesse infinie, bien plus que sur n'importe quel autre de ses albums.
Le piano est donc à l'honneur sur ce disque. Parfois, il est le seul accompagnement de la voix de velours du crooner, comme sur le déchirant "Liar". Discret sur le torturé "My Mother's Grave", il se fait pesant et tendu sur un "Bleeding Nose" plein de souffrance. Ce dernier morceau est vraiment très violent, que ce soit au niveau du thème, des paroles, du chant ou du jeu de piano.
Lorsque le piano est accompagné, les arrangements somptueux concourent à créer de véritables perles noires. Cordes, pizzicati, clavecins, percussions discrètes confèrent à ces morceaux une intensité dramatique rare. L'ouverture "Wonder Wonders" est d'une beauté à glacer le sang. Malgré son ambiance jazzy, la mélodie et la voix fragile de Jay-Jay expriment une rare tristesse. Mais cette tristesse est nuancée : avec "Lightning Strike" et "Autumn Winter Spring", l'association de percussions mystérieuses et de cordes élégiaques donne naissance à des morceaux clairs-obscurs hallucinants de grâce, plongés dans une sorte de torpeur enivrante. "Trauma" et "Medicine", au contraire, ne font aucune concession. L'atmosphère est extrêmement froide et sombre, sans aucune équivoque, par l'utilisation d'angoissantes percussions et nappes de synthétiseurs. "Make Her Mine" est peut-être un peu plus chaude, mais c'est un véritable cri de détresse, où les violons tragiques soutiennent admirablement la voix suppliante de Jay-Jay. Quant à "Sore", c'est une sinistre marche funèbre, au rythme ankylosé et se finissant sur une terrible partie instrumentale.
Les textes de Jay-Jay accentuent cette impression de malaise. Pudique mais très juste, l'artiste neurasthénique nous parle de trahison (‘If I tell you I love you, would that make me a liar too?'), de solitude et d'isolation (‘The sound of silence is what's left when the ghosts come out at night'), de jalousie et de violence (‘Broken nose, broken heart, the healing process doesn't know where to start') ou du regret de l'être aimé. La plume du Suédois est d'une sensibilité extrême, sans aucune concession mais ne tombe pas dans le misérabilisme.
Self-Portrait est une œuvre magistrale issue d'une âme en détresse. Musicalement inspiré, Jay-Jay Johanson met en musique son état inquiétant. Il souffre énormément, et l'écoute de l'album est saisissante, douloureuse, nous faisant entrevoir une partie de son désarroi. En résulte une œuvre incroyablement sombre, complexe où l'alchimie entre composition, arrangements, chants et écriture est impressionnante. Complètement habité, chanté avec passion et au bord de la rupture, ce terrible autoportrait a tout d'une authentique toile de maître.
Excellent ! 18/20 | par Vamos |
Posté le 14 mars 2009 à 18 h 11 |
Le maigrelet suédois prolonge sa quête de simplicité, et pousse le classicisme revendiqué de son dernier opus, The Long Term Physical Effects Are Not Yet Known, jusqu'au bout.
Même sleeve dépouillé, même détachement de l'électronique (qui avait pourtant été au centre d'Antenna et de Rush), et même obstination à se moquer des modes et/ou du succès commercial. Mais alors que son disque précédent revenait d'une certaine manière aux fondements du trip-hop pour mieux les sublimer, ce Self-portrait s'applique à expérimenter, encore et toujours, dans une forme de dénuement mélodique qu'on ne lui soupçonnait pas d'apprécier.
Ainsi, Jay-Jay Johanson, que l'on connaissait comme un artiste soit ambitieux (dans cette façon de se remettre sans cesse en question disque après disque), mais surtout facile d'accès, se révèle ici presque comme un pur expérimentateur. Self-Portrait évoque même la musique contemporaine dans son refus de l'évidence mélodique (du point de vue instrumental seulement, le chant reste séduisant) et dans l'utilisation de ses instruments, à forte dominance acoustique (avec le piano, la contrebasse et les cordes en soutiens principaux). On surprend ainsi de nombreuses dissonances, peu aimables au premier abord, mais qui enchantent une fois les chansons adoptées.
Et avec le recul, on comprend mieux le choix du titre de l'album: l'homme, que l'on savait fan de jazz depuis belle lurette, veut révéler ses premiers amours à ce public fidèle qui le suit avec attention depuis des années.
Self-Portrait ressemble à un hiver suédois, lond, rude et beau. Ce qui constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Dans les plus beaux moments (la fin de l'album notamment, avec "Broken Nose", "Medicine", "Make Her Mine" et surtout le magnifique "Sore") on est à la fois ému et désorienté, c'est superbe. Mais d'une certaine manière l'aridité des premiers morceaux nuit à leur assimilation par le coeur.
On aurait pourtant pu s'en douter, à voir cette barbe et ce corps austères qui peuplent difficilement le sleeve de Self-Portrait: Jay-Jay Johanson est homme de chair, soit, mais aussi un corps minéral... Voilà, c'est çà ! The Long Term Physical Effects Are Not Yet Known est la chair de son auteur, Self-portrait, les os. Que va-t-il bien pouvoir nous pondre la prochaine fois, ce surprenant suédois ? Un album sanguin, féroce ?
Même sleeve dépouillé, même détachement de l'électronique (qui avait pourtant été au centre d'Antenna et de Rush), et même obstination à se moquer des modes et/ou du succès commercial. Mais alors que son disque précédent revenait d'une certaine manière aux fondements du trip-hop pour mieux les sublimer, ce Self-portrait s'applique à expérimenter, encore et toujours, dans une forme de dénuement mélodique qu'on ne lui soupçonnait pas d'apprécier.
Ainsi, Jay-Jay Johanson, que l'on connaissait comme un artiste soit ambitieux (dans cette façon de se remettre sans cesse en question disque après disque), mais surtout facile d'accès, se révèle ici presque comme un pur expérimentateur. Self-Portrait évoque même la musique contemporaine dans son refus de l'évidence mélodique (du point de vue instrumental seulement, le chant reste séduisant) et dans l'utilisation de ses instruments, à forte dominance acoustique (avec le piano, la contrebasse et les cordes en soutiens principaux). On surprend ainsi de nombreuses dissonances, peu aimables au premier abord, mais qui enchantent une fois les chansons adoptées.
Et avec le recul, on comprend mieux le choix du titre de l'album: l'homme, que l'on savait fan de jazz depuis belle lurette, veut révéler ses premiers amours à ce public fidèle qui le suit avec attention depuis des années.
Self-Portrait ressemble à un hiver suédois, lond, rude et beau. Ce qui constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Dans les plus beaux moments (la fin de l'album notamment, avec "Broken Nose", "Medicine", "Make Her Mine" et surtout le magnifique "Sore") on est à la fois ému et désorienté, c'est superbe. Mais d'une certaine manière l'aridité des premiers morceaux nuit à leur assimilation par le coeur.
On aurait pourtant pu s'en douter, à voir cette barbe et ce corps austères qui peuplent difficilement le sleeve de Self-Portrait: Jay-Jay Johanson est homme de chair, soit, mais aussi un corps minéral... Voilà, c'est çà ! The Long Term Physical Effects Are Not Yet Known est la chair de son auteur, Self-portrait, les os. Que va-t-il bien pouvoir nous pondre la prochaine fois, ce surprenant suédois ? Un album sanguin, féroce ?
Très bon 16/20
Posté le 27 avril 2009 à 17 h 39 |
Le parcours de Jay-Jay Johanson est une route sinueuse. Un tracé qui a traversé des paysages bien différents, escarpés, tortueux parfois lumineux. Les territoires sont rarement sous un soleil de plomb, plutôt baignés de brumes, de vents lancinants. Les éclaircies sont de mises.
Cette route semble rencontrer en 2009 une nouvelle saison.
C'est à pied que Jay-Jay avance, nettoyé de tous artifices, de toute aide.
Dépouiller, ne garder que les os, la structure.
Aller à l'essentiel, sans insinuer que plus égal moins.
Sans renier le passé.
Self Portrait repose sur peu de choses : un piano, quelques touches d'électro, trois notes de guitares et quatre silences.
Self Portrait repose sur beaucoup : une voix toujours aussi poignante, des mélodies qui semblent avoir toujours été dans le creux de votre oreille, des textes somptueux. Qui d'autres que Jay Jay pourrait raconter "Broken Nose" avec tant de retenue, de pudeur ?
"Sore", (endolori) clôture ce voyage. Bruine fine et pénétrante, odeur forte de tourbe, teinte mordorée des pâturages trop arrosés, lumière laiteuse.
Complainte d'un homme qui a vieilli.
Dans tous les bons sens du terme.
Cette route semble rencontrer en 2009 une nouvelle saison.
C'est à pied que Jay-Jay avance, nettoyé de tous artifices, de toute aide.
Dépouiller, ne garder que les os, la structure.
Aller à l'essentiel, sans insinuer que plus égal moins.
Sans renier le passé.
Self Portrait repose sur peu de choses : un piano, quelques touches d'électro, trois notes de guitares et quatre silences.
Self Portrait repose sur beaucoup : une voix toujours aussi poignante, des mélodies qui semblent avoir toujours été dans le creux de votre oreille, des textes somptueux. Qui d'autres que Jay Jay pourrait raconter "Broken Nose" avec tant de retenue, de pudeur ?
"Sore", (endolori) clôture ce voyage. Bruine fine et pénétrante, odeur forte de tourbe, teinte mordorée des pâturages trop arrosés, lumière laiteuse.
Complainte d'un homme qui a vieilli.
Dans tous les bons sens du terme.
Parfait 17/20
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