Sylvia Hansel
10 questions à Sylvia Hansel [lundi 20 décembre 2021] |
Le groupe indie rock francilien Wonderflu bien connu des membres de XSilence a une riche actu en cette fin d’année 2021. Ils viennent de sortir leur dixième E.P et ont repris les concerts avec une nouvelle bassiste : Sylvia Hansel. Bassiste, guitariste, songwriter, écrivaine, podcastrice, journaliste, il se trouve qu’elle fait également beaucoup de choses bien cools (des trucs excellents à écouter ou lire en résumé) et qu’on devait absolument lui demander de nous parler de toutes ses activités
Interview menée par Plock
Interview menée par Plock
Qui es-tu Sylvia Hansel ?
Vaste question… Disons que je suis une plouque de la Moselle qui a eu la chance d’entendre le Velvet Underground, ce qui a changé ma vie.
Quand as-tu commencé à faire de la musique ? Et à enregistrer tes propres chansons ?
J’ai toujours adoré la musique. Il paraît qu’à moins de 5 ans, je chantais du Tino Rossi à chaque réunion de famille, mes parents voulaient me faire passer à l’École des fans de Jacques Martin. Ça ne s’est, heureusement, pas fait. Très tôt, j’ai appris à manipuler le magnétophone pour m’enregistrer. Ma première chanson, intitulée « L’école me fait chier », a eu tellement de succès dans ma classe de CE1 que c’est arrivé aux oreilles de la maîtresse, que j’insultais plus ou moins dans les paroles. J’ai été sévèrement punie, copier « Je dois être polie envers les grandes personnes » 500 fois, je crois, ça m’avait pris un temps fou, j’étais désespérée. Ensuite, à l’adolescence, j’ai découvert le rock, essayé d’apprendre toute seule la guitare pour monter un groupe… sans succès. Je n’étais pas très sociable, même les rares autres gamins qui écoutaient du rock ne voulaient pas être vus avec moi, encore moins m’avoir dans leur groupe. J’ai mis un temps fou à apprendre à jouer trois accords de guitare assez correctement pour composer réellement mes chansons, j’avais déjà 19 ans quand j’ai acheté une guitare électrique, un ampli et une disto, puis passé des annonces pour trouver des musiciens. Ça m’a encore pris deux ans pour tomber sur les bons, entre-temps je suis passée à la basse, beaucoup plus facile à jouer, résultat je devais avoir 23 ans pour mon premier concert, 27 quand j’ai enregistré mon premier album, après moult péripéties avec plusieurs groupes…
Quels sont les musiciens et plus généralement les artistes ou les gens, les choses qui t’inspirent ?
Spontanément, j’ai envie de m’écrier : Kim Deal ! C’est elle qui m’a appris à jouer de la basse, c’est en l’entendant chanter que je me suis dit que moi aussi, je pourrais, même si ma voix n’avait rien d’extraordinaire (rappelons que les 90’s était la décennie dans chanteuses « à voix » type Céline Dion). Son look, son humour, sa façon d’avoir l’air d’en avoir rien à foutre, de jouer dans un groupe de mecs et d’y occuper pleinement sa place, à l’aise, légitime, sans minauder ni jouer les séductrices… Ça n’a l’air de rien, mais c’était important pour moi d’avoir ce modèle, même simplement de voir que c’était possible. La première fois que j’ai vu des photos des L7 , pareil, j’avais 13 ans, j’ai failli hurler : « Je veux être comme elles plus tard ! ». Mais musicalement, L7 c’était un peu trop bourrin, enfin non, j’aime bien, j’ai tous leurs albums, mais je ne pourrais pas faire que ça, j’ai besoin de plus de subtilité, de mélodies, de ballades… et Kim Deal fait tout cela à la fois. C’est une artiste sincère, qui fait exactement ce qu’elle veut, seule ou en groupe. Même en vieillissant, elle continue de m’inspirer. Je veux bien vieillir comme elle ou sa sœur Kelley qui, entre deux tournées des Breeders, tricote et coud des écharpes (j’en ai acheté une sur son site web, elle tient bien chaud l’hiver).
Peux-tu nous présenter tes différents projets présents, passés, futurs, musicaux, littéraires, etc. ?
Pour faire court, on va se contenter du présent, si tu veux bien, car c’est déjà pas mal. J’ai enregistré un album solo il y a un an, dans mon salon, que j’ai produit et mixé moi-même, et pourtant il sonne bien. Il s’appelle Moselle Hillbillie et va sortir début mars sur le label Acoustic Kitty, tout jeune label créé par la musicienne française Pollyanna, qui fait du folk. Mon disque est une sorte de mélange d’indie 90’s, de pop 60’s et de country, il y a du violon, du banjo et du piano en plus des habituelles guitares-basse-batterie, j’ai même mis un solo de basse (oui) et des sons genre Mellotron ou Farfisa, bricolés avec GarageBand. J’en suis super fière.
Je joue aussi, avec mon amie Alizon du groupe Quiche My Ass, dans un duo féminin nommé Blue Tampax. On chante ensemble, en harmonie, des chansons pop en anglais, sur des sujets tels que le kebab de 2 h du mat quand tu rentres bourrée, l’ennui conjugal ou la cystite. On fait aussi une reprise d’Abba façon Hank Williams, avec un banjolélé… Bref, c’est un projet récréatif. Sinon, je viens de sortir une reprise de Joni Mitchell pour une compile de Noël dont les bénéfices sont reversés à l’association Féminité sans abri
Côté littéraire, après Noël en février (2015), Les adultes n’existent pas (2018) et Cannonball, l’adolescence n’est pas une chanson douce (2020), un quatrième roman devrait voir le jour dans l’année, toujours aux éditions Intervalles. Mais je ne veux pas trop en parler à l’avance. J’ai envie d’écrire plein de trucs. Depuis que j’ai découvert, à ma grande surprise, que ce que j’écrivais était publiable et qu’il y avait même des gens qui achetaient les livres, j’ai plein d’idées. Mais je manque de temps, d’autant que je me suis embarquée avec Wonderflu, par-dessus le marché.
Comment as-tu été amené à rejoindre Wonderflu ? Et question subsidiaire à laquelle tu n’es pas obligée de répondre : est-il vrai que dans la vraie vie Javier, Marco et Greg ne sont pas très fun et aiment traîner leur spleen d’indie rockeur en chemises à carreaux dans des PMU sordides de la petite couronne parisienne pour jouer au Rapido et boire des mauvais déca ?
J’avais contacté Greg et Javier à l’époque où je cherchais un label pour sortir Moselle Hillbillie . J’avais pensé qu’Influenza Records serait l’idéal pour mon disque, mais ce n’était pas leur point de vue. Je suis ensuite allée voir Wonderflu en concert et j’ai adoré. Comme j’étais un peu pompette, je leur ai dit que si un jour leur bassiste partait, j’étais chaude patate pour le remplacer. Quand leur bassiste les a effectivement quittés, ils ont pris quelqu’un d’autre, un Américain. Alors, à moitié pour déconner, je les ai engueulés sur Facebook : « Comment ça, votre bassiste fout le camp et c’est pas moi que vous appelez ?!! » Manque de bol pour eux, l’Américain a été expulsé du territoire français, puis a choisi de rester aux États-Unis. Du coup, ils ont fini par m’appeler… À croire que j’ai fait du vaudou pour obtenir le job !
Quant au Rapido dans les PMU, je déments formellement cette rumeur : on rentre tous gentiment chacun chez soi après les répètes, y a jamais moyen de boire un coup – ça me change du groupe de psyché-garage dans lequel j’ai joué il y a 3 ou 4 ans, avec qui ça se finissait toujours en tournées de shots, puis la tête dans les waters. Moralité, Wonderflu est un groupe bon pour la santé.
Est il possible que dans le futur tu puisses amener tes compos, prendre un peu le micro pour chanter, faire les chœurs, etc. au sein de Wonderflu ? (On l’imagine aisément à l’écoute de tes albums solo…)
Je fais déjà des chœurs ; pour ce qui est de placer des compos, Greg et Javier sont si prolifiques qu’on ne sait plus quoi faire avec toutes les chansons qu’ils composent, on aurait de quoi remplir un triple album… Je me croirais dans Guided By Voices ! Alors si, en plus, j’ajoutais les miennes, je te raconte pas le bordel.
Tu as un parcours de musicienne très varié puisque tu as entre autres accompagné Agnès Gayraud aka La Féline qui fait de la pop française, là tu rejoins un groupe indie rock qui chante en anglais…tu écoutes beaucoup de choses différentes ou tout ceci n’est que le fruit « du hasard et des rencontres » ?
Il y a un peu des deux. En fait, j’ai toujours écouté des choses assez variées : ado, je pouvais passer de Nirvana à Simon & Garfunkel, si tu lis mon bouquin Cannonball, tu verras que je passe de Neil Young à L7, puis à Tommy des Who… Il y a même du Renaud ! Ça doit être parce que je n’ai jamais traîné avec une bande d’amis, où il faut écouter tel style et t’habiller de telle façon… Cette manière réductrice de voir les choses me fait horreur. Pour moi, se cantonner à un ou deux genres musicaux, c’est surtout faire la preuve qu’on est incapable de juger par soi-même, qu’on a besoin de l’approbation des autres pour exister (coucou les rockab’). Étant assez ouverte (sauf au jazz et à l’électro, faut pas exagérer), j’ai tendance à dire oui quand un groupe sollicite mes services : j’ai joué dans un groupe de punk, un de psychobilly, un de psyché-garage… La Féline, c’est une autre histoire : en 2007, quand Agnès m’a contactée, sa musique n’avait pas grand-chose à voir avec ce que c’est devenu. Elle faisait de la pop-folk, parfois en français, parfois en anglais, elle avait aussi des chansons en espagnol… J’avais du mal avec ses trucs en français, mais Agnès était tellement sympa, intéressante, persuasive… Elle m’a énormément appris, notamment en ce qui concerne le chant, les harmonies médiévales, ce genre de trucs. Elle partait beaucoup en envolées lyriques dans les aigus ; sans elle, je n’aurais jamais su que j’en étais capable, je voulais juste chanter comme Kim Deal, mais Agnès écoutait Kate Bush, elle savait que faire preuve d’audace dans la musique n’est pas automatiquement prétentieux. Elle jouait de la guitare folk, je l’accompagnais à l’électrique, des sortes de petits solos avec un son à la Shadows. Après, elle a intégré d’autres musiciens, des synthés 80’s, s’est mise à privilégier le français, c’était beaucoup moins ma came, j’ai mis les voiles quand elle m’a interdit d’utiliser ma pédale de disto. Mais elle reste une amie, et l’expérience a été formatrice. Si je n’étais pas passée par la case Féline, je n’aurais peut-être jamais eu assez confiance en moi pour enregistrer mon premier disque solo.
J’ai parcouru ton blog, qui m’a fortement donné envie de lire Cannonball, que je vais commander. Il y a une part de nostalgie et de mélancolie assez assumée. Est-ce que tu peux nous parler de ce livre et des covers qui l’accompagnent ?
Génial, super contente que tu commandes Cannonball ! Pas mal des gens continuent de le découvrir, un an et demi après sa sortie, c’est hyper gratifiant. C’est un gros pavé, dont l’écriture m’a pris trois ans et demi, tout de même. Le principe, c’est que chaque chapitre est consacré à une chanson qui a marqué mon adolescence. Il y a à la fois une approche journalistique, et une approche autobiographique. Plus que de la simple nostalgie, le livre se penche sur le lien qui nous unit à la musique : pourquoi une chanson nous parle à tel moment de notre vie ? Quel rôle peuvent jouer les chansons, les groupes, la radio, la presse musicale, pour les gens qui les écoutent ? Tout à l’heure, je t’expliquais pourquoi Kim Deal avait tant d’importance pour moi ; il y a aussi eu Lou Reed, Keith Richards, Courtney Love, Pete Townshend… Si je n’avais pas entendu parler de ces gens, ma vie n’aurait pas la gueule qu’elle a actuellement, j’en suis certaine. C’est un peu la question que pose Nick Hornby dans son livre culte, High Fidelity « est-ce que j’écoute de la pop music parce que je suis malheureux, ou est-ce que je suis malheureux parce que j’écoute de la pop music ? » C’est presque de la sociologie, en fait !
Quant à l’album de reprises qui accompagnait la sortie du livre, c’est surtout que je me suis fait plaisir. Écrire sur ces chansons m’a donné envie de les jouer, alors je suis allée sur Ultimate Guitar et j’en ai appris certaines. Ça m’a permis de mieux les comprendre, et du coup, d’affiner leur analyse pour le livre. Puis je me suis dit, pourquoi pas les enregistrer ? C’est sur GarageBand, c’est gratuit, on était confiné de toute façon. Du coup, j’ai mis le truc en ligne sur Bandcamp. J’ai aussi consacré plusieurs émissions de mon podcast à ces chansons, histoire de promouvoir le livre. Mais je ne peux plus écouter ces covers, c’est trop mal mixé, j’ai honte.
Livres, podcast, musique, journalisme… as-tu déjà pensé/envisagé/rêvé de t’exprimer via des vidéos (court métrage, série, film) et si oui à quoi ça pourrait ressembler ?
Alors non, j’aime pas la vidéo. Je me suis forcée à faire un clip pour « Oh, Davy! », mon prochain single qui va sortir bientôt, parce que j’ai l’impression que de nos jours, on ne peut plus exister sans clip. Parfois, je vois passer des articles intitulés « Nouveau clip pour Wonderflu », « Découvrez en exclu le nouveau clip de La Féline »… comme si le clip était plus important que la chanson. Moi, les clips m’emmerdent. Certains sont très bien, mais le principe de mettre de la vidéo sur de la musique, bof. Quand je découvre une chanson, j’aime y projeter mon propre ressenti, j’ai pas envie qu’on m’impose des images. D’autant que souvent, ces films n’ont rien à voir avec l’intention du songwriter. Je préfère qu’une chanson me rappelle éternellement le parking dans lequel je l’ai entendue pour la première fois à la radio, plutôt que les images du clip.
Pour finir, je te laisse carte blanche pour nous faire une playlist albums, chansons, livres, films, séries, etc. Tu mets ce que tu veux mais nous écoutons tes recommandations !
Wow. Ta question est tellement vaste que je vais devoir prendre un parti. Je vais essayer de recommander des albums qui sont un peu passés sous les radars, et qui mériteraient d’être écoutés avec attention.
- Heart Food , de Judee Sill (1973). Une singer-songwriter californienne incroyable, morte d’overdose dans la dèche, sans avoir connu le succès alors que putain, je sais pas ce qu’il vous faut, ce disque est une splendeur.
- Here Come the Warm Jets, de Brian Eno (1974). Non, Eno n’est pas juste un chauve chiant qui, au mieux, tripotait des boutons chez Roxy Music et, au pire, produisait U2…
- Sunny Border Blue, de Kristin Hersh (2001). Tuerie absolue. J’aime cette meuf d’amour.
- Title TK (2002) et Mountain Battles (2007) des Breeders, deux albums un peu mal aimés, avec un line-up différent, mais que je trouve presque meilleurs que ceux de la grande époque.
- Lil’ One-Arm, de The Oubliettes (2013). Un projet parallèle de Matt Verta-Ray avec une chanteuse nommée Ali Smith, superbe. Album improbable et magique.
- Nerves, de First Floor Power (2003). Un groupe suédois aujourd’hui tombé dans l’oubli, que je me surprends à réécouter au moins une fois par an pour me dire « putain, c’était vachement bien ! »
- Rumours de Fleetwood Mac (1977). Album best-seller, mais tellement sous-estimé en France…
Plus près de nous, chez les (presque) Français, j’adore The Necessary Separations et leur album homonyme, ainsi que Communication Problems, l’album solo de Nick Wheeldon, paru début novembre chez Mauvaise Foi Records.
Pour les livres liés à la musique, je recommande chaudement Basse Fidélité de Philippe Dumez, En attendant l’an 2000 de Catherine Humbert qui vient de paraître, Demain la brume de Timothée Demeillers, Riot Grrrl de Mathilde Carton, Tais-toi ou meurs, l’autobiographie de Mark Oliver Everett (le mec de Eels), Bande originale et Tomber les filles avec Duran Duran de Rob Sheffield, Je, la Mort et le Rock’n’Roll de Chuck Klosterman… Et il y en a tellement d’autres !
Vaste question… Disons que je suis une plouque de la Moselle qui a eu la chance d’entendre le Velvet Underground, ce qui a changé ma vie.
Quand as-tu commencé à faire de la musique ? Et à enregistrer tes propres chansons ?
J’ai toujours adoré la musique. Il paraît qu’à moins de 5 ans, je chantais du Tino Rossi à chaque réunion de famille, mes parents voulaient me faire passer à l’École des fans de Jacques Martin. Ça ne s’est, heureusement, pas fait. Très tôt, j’ai appris à manipuler le magnétophone pour m’enregistrer. Ma première chanson, intitulée « L’école me fait chier », a eu tellement de succès dans ma classe de CE1 que c’est arrivé aux oreilles de la maîtresse, que j’insultais plus ou moins dans les paroles. J’ai été sévèrement punie, copier « Je dois être polie envers les grandes personnes » 500 fois, je crois, ça m’avait pris un temps fou, j’étais désespérée. Ensuite, à l’adolescence, j’ai découvert le rock, essayé d’apprendre toute seule la guitare pour monter un groupe… sans succès. Je n’étais pas très sociable, même les rares autres gamins qui écoutaient du rock ne voulaient pas être vus avec moi, encore moins m’avoir dans leur groupe. J’ai mis un temps fou à apprendre à jouer trois accords de guitare assez correctement pour composer réellement mes chansons, j’avais déjà 19 ans quand j’ai acheté une guitare électrique, un ampli et une disto, puis passé des annonces pour trouver des musiciens. Ça m’a encore pris deux ans pour tomber sur les bons, entre-temps je suis passée à la basse, beaucoup plus facile à jouer, résultat je devais avoir 23 ans pour mon premier concert, 27 quand j’ai enregistré mon premier album, après moult péripéties avec plusieurs groupes…
Quels sont les musiciens et plus généralement les artistes ou les gens, les choses qui t’inspirent ?
Spontanément, j’ai envie de m’écrier : Kim Deal ! C’est elle qui m’a appris à jouer de la basse, c’est en l’entendant chanter que je me suis dit que moi aussi, je pourrais, même si ma voix n’avait rien d’extraordinaire (rappelons que les 90’s était la décennie dans chanteuses « à voix » type Céline Dion). Son look, son humour, sa façon d’avoir l’air d’en avoir rien à foutre, de jouer dans un groupe de mecs et d’y occuper pleinement sa place, à l’aise, légitime, sans minauder ni jouer les séductrices… Ça n’a l’air de rien, mais c’était important pour moi d’avoir ce modèle, même simplement de voir que c’était possible. La première fois que j’ai vu des photos des L7 , pareil, j’avais 13 ans, j’ai failli hurler : « Je veux être comme elles plus tard ! ». Mais musicalement, L7 c’était un peu trop bourrin, enfin non, j’aime bien, j’ai tous leurs albums, mais je ne pourrais pas faire que ça, j’ai besoin de plus de subtilité, de mélodies, de ballades… et Kim Deal fait tout cela à la fois. C’est une artiste sincère, qui fait exactement ce qu’elle veut, seule ou en groupe. Même en vieillissant, elle continue de m’inspirer. Je veux bien vieillir comme elle ou sa sœur Kelley qui, entre deux tournées des Breeders, tricote et coud des écharpes (j’en ai acheté une sur son site web, elle tient bien chaud l’hiver).
Peux-tu nous présenter tes différents projets présents, passés, futurs, musicaux, littéraires, etc. ?
Pour faire court, on va se contenter du présent, si tu veux bien, car c’est déjà pas mal. J’ai enregistré un album solo il y a un an, dans mon salon, que j’ai produit et mixé moi-même, et pourtant il sonne bien. Il s’appelle Moselle Hillbillie et va sortir début mars sur le label Acoustic Kitty, tout jeune label créé par la musicienne française Pollyanna, qui fait du folk. Mon disque est une sorte de mélange d’indie 90’s, de pop 60’s et de country, il y a du violon, du banjo et du piano en plus des habituelles guitares-basse-batterie, j’ai même mis un solo de basse (oui) et des sons genre Mellotron ou Farfisa, bricolés avec GarageBand. J’en suis super fière.
Je joue aussi, avec mon amie Alizon du groupe Quiche My Ass, dans un duo féminin nommé Blue Tampax. On chante ensemble, en harmonie, des chansons pop en anglais, sur des sujets tels que le kebab de 2 h du mat quand tu rentres bourrée, l’ennui conjugal ou la cystite. On fait aussi une reprise d’Abba façon Hank Williams, avec un banjolélé… Bref, c’est un projet récréatif. Sinon, je viens de sortir une reprise de Joni Mitchell pour une compile de Noël dont les bénéfices sont reversés à l’association Féminité sans abri
Côté littéraire, après Noël en février (2015), Les adultes n’existent pas (2018) et Cannonball, l’adolescence n’est pas une chanson douce (2020), un quatrième roman devrait voir le jour dans l’année, toujours aux éditions Intervalles. Mais je ne veux pas trop en parler à l’avance. J’ai envie d’écrire plein de trucs. Depuis que j’ai découvert, à ma grande surprise, que ce que j’écrivais était publiable et qu’il y avait même des gens qui achetaient les livres, j’ai plein d’idées. Mais je manque de temps, d’autant que je me suis embarquée avec Wonderflu, par-dessus le marché.
Comment as-tu été amené à rejoindre Wonderflu ? Et question subsidiaire à laquelle tu n’es pas obligée de répondre : est-il vrai que dans la vraie vie Javier, Marco et Greg ne sont pas très fun et aiment traîner leur spleen d’indie rockeur en chemises à carreaux dans des PMU sordides de la petite couronne parisienne pour jouer au Rapido et boire des mauvais déca ?
J’avais contacté Greg et Javier à l’époque où je cherchais un label pour sortir Moselle Hillbillie . J’avais pensé qu’Influenza Records serait l’idéal pour mon disque, mais ce n’était pas leur point de vue. Je suis ensuite allée voir Wonderflu en concert et j’ai adoré. Comme j’étais un peu pompette, je leur ai dit que si un jour leur bassiste partait, j’étais chaude patate pour le remplacer. Quand leur bassiste les a effectivement quittés, ils ont pris quelqu’un d’autre, un Américain. Alors, à moitié pour déconner, je les ai engueulés sur Facebook : « Comment ça, votre bassiste fout le camp et c’est pas moi que vous appelez ?!! » Manque de bol pour eux, l’Américain a été expulsé du territoire français, puis a choisi de rester aux États-Unis. Du coup, ils ont fini par m’appeler… À croire que j’ai fait du vaudou pour obtenir le job !
Quant au Rapido dans les PMU, je déments formellement cette rumeur : on rentre tous gentiment chacun chez soi après les répètes, y a jamais moyen de boire un coup – ça me change du groupe de psyché-garage dans lequel j’ai joué il y a 3 ou 4 ans, avec qui ça se finissait toujours en tournées de shots, puis la tête dans les waters. Moralité, Wonderflu est un groupe bon pour la santé.
Est il possible que dans le futur tu puisses amener tes compos, prendre un peu le micro pour chanter, faire les chœurs, etc. au sein de Wonderflu ? (On l’imagine aisément à l’écoute de tes albums solo…)
Je fais déjà des chœurs ; pour ce qui est de placer des compos, Greg et Javier sont si prolifiques qu’on ne sait plus quoi faire avec toutes les chansons qu’ils composent, on aurait de quoi remplir un triple album… Je me croirais dans Guided By Voices ! Alors si, en plus, j’ajoutais les miennes, je te raconte pas le bordel.
Tu as un parcours de musicienne très varié puisque tu as entre autres accompagné Agnès Gayraud aka La Féline qui fait de la pop française, là tu rejoins un groupe indie rock qui chante en anglais…tu écoutes beaucoup de choses différentes ou tout ceci n’est que le fruit « du hasard et des rencontres » ?
Il y a un peu des deux. En fait, j’ai toujours écouté des choses assez variées : ado, je pouvais passer de Nirvana à Simon & Garfunkel, si tu lis mon bouquin Cannonball, tu verras que je passe de Neil Young à L7, puis à Tommy des Who… Il y a même du Renaud ! Ça doit être parce que je n’ai jamais traîné avec une bande d’amis, où il faut écouter tel style et t’habiller de telle façon… Cette manière réductrice de voir les choses me fait horreur. Pour moi, se cantonner à un ou deux genres musicaux, c’est surtout faire la preuve qu’on est incapable de juger par soi-même, qu’on a besoin de l’approbation des autres pour exister (coucou les rockab’). Étant assez ouverte (sauf au jazz et à l’électro, faut pas exagérer), j’ai tendance à dire oui quand un groupe sollicite mes services : j’ai joué dans un groupe de punk, un de psychobilly, un de psyché-garage… La Féline, c’est une autre histoire : en 2007, quand Agnès m’a contactée, sa musique n’avait pas grand-chose à voir avec ce que c’est devenu. Elle faisait de la pop-folk, parfois en français, parfois en anglais, elle avait aussi des chansons en espagnol… J’avais du mal avec ses trucs en français, mais Agnès était tellement sympa, intéressante, persuasive… Elle m’a énormément appris, notamment en ce qui concerne le chant, les harmonies médiévales, ce genre de trucs. Elle partait beaucoup en envolées lyriques dans les aigus ; sans elle, je n’aurais jamais su que j’en étais capable, je voulais juste chanter comme Kim Deal, mais Agnès écoutait Kate Bush, elle savait que faire preuve d’audace dans la musique n’est pas automatiquement prétentieux. Elle jouait de la guitare folk, je l’accompagnais à l’électrique, des sortes de petits solos avec un son à la Shadows. Après, elle a intégré d’autres musiciens, des synthés 80’s, s’est mise à privilégier le français, c’était beaucoup moins ma came, j’ai mis les voiles quand elle m’a interdit d’utiliser ma pédale de disto. Mais elle reste une amie, et l’expérience a été formatrice. Si je n’étais pas passée par la case Féline, je n’aurais peut-être jamais eu assez confiance en moi pour enregistrer mon premier disque solo.
J’ai parcouru ton blog, qui m’a fortement donné envie de lire Cannonball, que je vais commander. Il y a une part de nostalgie et de mélancolie assez assumée. Est-ce que tu peux nous parler de ce livre et des covers qui l’accompagnent ?
Génial, super contente que tu commandes Cannonball ! Pas mal des gens continuent de le découvrir, un an et demi après sa sortie, c’est hyper gratifiant. C’est un gros pavé, dont l’écriture m’a pris trois ans et demi, tout de même. Le principe, c’est que chaque chapitre est consacré à une chanson qui a marqué mon adolescence. Il y a à la fois une approche journalistique, et une approche autobiographique. Plus que de la simple nostalgie, le livre se penche sur le lien qui nous unit à la musique : pourquoi une chanson nous parle à tel moment de notre vie ? Quel rôle peuvent jouer les chansons, les groupes, la radio, la presse musicale, pour les gens qui les écoutent ? Tout à l’heure, je t’expliquais pourquoi Kim Deal avait tant d’importance pour moi ; il y a aussi eu Lou Reed, Keith Richards, Courtney Love, Pete Townshend… Si je n’avais pas entendu parler de ces gens, ma vie n’aurait pas la gueule qu’elle a actuellement, j’en suis certaine. C’est un peu la question que pose Nick Hornby dans son livre culte, High Fidelity « est-ce que j’écoute de la pop music parce que je suis malheureux, ou est-ce que je suis malheureux parce que j’écoute de la pop music ? » C’est presque de la sociologie, en fait !
Quant à l’album de reprises qui accompagnait la sortie du livre, c’est surtout que je me suis fait plaisir. Écrire sur ces chansons m’a donné envie de les jouer, alors je suis allée sur Ultimate Guitar et j’en ai appris certaines. Ça m’a permis de mieux les comprendre, et du coup, d’affiner leur analyse pour le livre. Puis je me suis dit, pourquoi pas les enregistrer ? C’est sur GarageBand, c’est gratuit, on était confiné de toute façon. Du coup, j’ai mis le truc en ligne sur Bandcamp. J’ai aussi consacré plusieurs émissions de mon podcast à ces chansons, histoire de promouvoir le livre. Mais je ne peux plus écouter ces covers, c’est trop mal mixé, j’ai honte.
Livres, podcast, musique, journalisme… as-tu déjà pensé/envisagé/rêvé de t’exprimer via des vidéos (court métrage, série, film) et si oui à quoi ça pourrait ressembler ?
Alors non, j’aime pas la vidéo. Je me suis forcée à faire un clip pour « Oh, Davy! », mon prochain single qui va sortir bientôt, parce que j’ai l’impression que de nos jours, on ne peut plus exister sans clip. Parfois, je vois passer des articles intitulés « Nouveau clip pour Wonderflu », « Découvrez en exclu le nouveau clip de La Féline »… comme si le clip était plus important que la chanson. Moi, les clips m’emmerdent. Certains sont très bien, mais le principe de mettre de la vidéo sur de la musique, bof. Quand je découvre une chanson, j’aime y projeter mon propre ressenti, j’ai pas envie qu’on m’impose des images. D’autant que souvent, ces films n’ont rien à voir avec l’intention du songwriter. Je préfère qu’une chanson me rappelle éternellement le parking dans lequel je l’ai entendue pour la première fois à la radio, plutôt que les images du clip.
Pour finir, je te laisse carte blanche pour nous faire une playlist albums, chansons, livres, films, séries, etc. Tu mets ce que tu veux mais nous écoutons tes recommandations !
Wow. Ta question est tellement vaste que je vais devoir prendre un parti. Je vais essayer de recommander des albums qui sont un peu passés sous les radars, et qui mériteraient d’être écoutés avec attention.
- Heart Food , de Judee Sill (1973). Une singer-songwriter californienne incroyable, morte d’overdose dans la dèche, sans avoir connu le succès alors que putain, je sais pas ce qu’il vous faut, ce disque est une splendeur.
- Here Come the Warm Jets, de Brian Eno (1974). Non, Eno n’est pas juste un chauve chiant qui, au mieux, tripotait des boutons chez Roxy Music et, au pire, produisait U2…
- Sunny Border Blue, de Kristin Hersh (2001). Tuerie absolue. J’aime cette meuf d’amour.
- Title TK (2002) et Mountain Battles (2007) des Breeders, deux albums un peu mal aimés, avec un line-up différent, mais que je trouve presque meilleurs que ceux de la grande époque.
- Lil’ One-Arm, de The Oubliettes (2013). Un projet parallèle de Matt Verta-Ray avec une chanteuse nommée Ali Smith, superbe. Album improbable et magique.
- Nerves, de First Floor Power (2003). Un groupe suédois aujourd’hui tombé dans l’oubli, que je me surprends à réécouter au moins une fois par an pour me dire « putain, c’était vachement bien ! »
- Rumours de Fleetwood Mac (1977). Album best-seller, mais tellement sous-estimé en France…
Plus près de nous, chez les (presque) Français, j’adore The Necessary Separations et leur album homonyme, ainsi que Communication Problems, l’album solo de Nick Wheeldon, paru début novembre chez Mauvaise Foi Records.
Pour les livres liés à la musique, je recommande chaudement Basse Fidélité de Philippe Dumez, En attendant l’an 2000 de Catherine Humbert qui vient de paraître, Demain la brume de Timothée Demeillers, Riot Grrrl de Mathilde Carton, Tais-toi ou meurs, l’autobiographie de Mark Oliver Everett (le mec de Eels), Bande originale et Tomber les filles avec Duran Duran de Rob Sheffield, Je, la Mort et le Rock’n’Roll de Chuck Klosterman… Et il y en a tellement d’autres !
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