Can
Delay 1968 |
Label :
Spoon |
||||
Bienvenue en 1968, année banale d'une décennie banale... Pas d'accord ? Et bien vous avez raison. En cette belle année un monstre aiguise ses griffes. La créature titube encore mais nul doute qu'une fois son pas assuré jamais plus elle n'aura à craindre qui que ce soit. Une fois rodée, plus jamais la mécanique ne s'enrayera, plus rien ne pourra freiner son ascension vers le panthéon des plus grands, roi parmi les rois, prétendant au titre de dieu unique chez les polythéistes touche-à-tout d'un rock'n'roll encore inconscient de l'inachèvement de son existence anté-krautrockienne...
Malgré ce que les profanes vous affirmeront, Monster Movie n'est pas le premier album de Can. Enfin pas vraiment. A la fin des années cinquante, Holger Czukay assiste à un show de Karlheinz Stockhausen, l'Allemand considéré par beaucoup comme un des principaux pionniers de la musique electro. Impressionné par sa performance, Czukay aborde l'artiste qui lui confiera sans mystère que pour faire une telle musique et survivre, la clé est de se marier avec une femme très riche. Sans plus cogiter, Holger Czukay, qui deviendra dès lors l'élève de Stockhausen, s'en ira donc chercher un poste de professeur en Suisse, et plus précisément près du Lac de Genève. Accepté dans une école privée de grand standing, il trouvera rapidement une femme amplement apte à satisfaire ses besoins pécuniaires, le tout accompagné d'un salaire plus que confortable. C'est ainsi que Czukay put mettre suffisamment de côté pour essayer, pendant un an (c'est du moins ce qu'il pensait à l'époque), de monter un groupe qui aurait peut être son petit succès. Ainsi débuta l'épopée d'une formation qui deviendra l'une des plus influentes de sa génération et qui contribuera, au sein du mouvement krautrock, à rendre à l'Allemagne une fierté que les grands "vainqueurs" de la seconde guerre mondiale s'était partagée sans réellement penser, qu'un jour, il serait juste de la restituer.
Encore bien loin de toutes ces considérations, Czukay, basse en main, part à la recherche de musiciens, recherches qui l'amèneront à faire plus amplement la connaissance d'un de ses élèves, Mickael Karoli, qui gagnera rapidement sa place de guitariste (et violoniste par la suite) au sein de la formation naissante. Irmin Schmidt, quant à lui, fera partie du groupe final grâce à sa qualité d'élève de Stockhausen, lui et Czukay liant connaissance au cours de ses leçons. C'est d'ailleurs Schmidt qui le motiva réellement à monter un groupe. La partie piano/synthé étant assurée, il ne manquait plus qu'un chanteur et, bien sûr, un batteur. Et quel batteur ! Jaki Liebezeit, celui qui deviendrait au sein de la formation un véritable métronome humain, l'âme de cette musique binaire et cadencée, intégrera en fait la formation par défaut, faute d'avoir pu trouver un batteur à la demande de Schmidt, un de ses amis. L'Américain Malcolm Mooney, le chanteur de Can pour trois albums (et demi) au total, arriva en dernier et par hasard dans le groupe alors qu'il faisait une petite pause dans sa carrière de sculpteur afin de visiter le monde. Can était né. Enfin, encore une fois, pas vraiment. A l'époque, The Inner Space était né. C'est en effet ainsi que s'appelaient les teutons à leurs débuts, quand ils se faisaient encore la main sur des bandes-son de films qui marquèrent peut être la semaine de leur sortie mais sûrement pas l'histoire... Déjà entendu parler des chefs d'oeuvres érotico-kitsch Kamasutra de Kobi Jaeger et Agilok & Blubbo de l'illustre inconnu Peter F. Schneider ? En fait la moindre personne en a-t-elle déjà entendu parler ?.. Peu importe, toujours est-il que ces navets ont permit au groupe de vivoter, payant ainsi juste de quoi manger et l'entretien du matos. Et oui, à l'époque, pas de location de studio à payer, le locataire d'un petit château à Cologne leur ayant gracieusement offert une pièce où le groupe installera son maigre équipement. Au fil des exhibitions et des répétitions, The Inner Space devint The Can, qui devint à son tour Can (Communism, Anarchism, and Nihilism). Très vite et sans réellement le préméditer, le groupe s'orienta vers un son rock, aux accents parfois orientaux mais avec toujours un soucis d'extrême musicalité. Maîtres mots : la recherche permanente d'une rythmique efficace soulagée de tout superflu, la minimalisation au service d'une ambiance lourde et hypnotique.
C'est donc tout naturellement que le groupe acquit l'ambition de gagner en notoriété, une ambition qui les conduisit en cette belle et mouvementée année 1968 à enregistrer leur premier album : Prepared To Meet Thy Pnoom. Même si à première vue voilà un album qui n'a pas grand chose à voir avec le Delay ici chroniqué sorti en 1981, une courte explication suffira à expliciter ce lien on ne peut plus inextricable. Une fois les enregistrements de PTMTP terminés, les Can eurent beau démarcher un nombre conséquent de maisons de disques Allemandes, aucune n'accepta de produire ce genre de musique, il faut bien le dire totalement novatrice, et qui plus est faite par une bande de semis inconnus en mal de financements... Le laissant donc de côté pour l'instant, les Can choisirent donc de ne pas se décourager pour si peu et enregistrèrent dans les mois qui suivirent le Monster Movie que vous connaissez probablement et qui lança leur carrière. Et ce n'est qu'en 1981 que les Can croisent Konrad Plank, le légendaire producteur Allemand à qui l'ont doit un bon nombre de monuments du Krautrock mais pas seulement (Kraftwerk, Neu ! , Guru Guru, Devo, Killing Joke...), le Monsieur acceptant volontiers de produire l'album sous le nom Delay 1968 (Retard 1968). Voilà pourquoi le (presque) tout premier album de Can ne figure qu'en 14ème position dans leur discographie... Mais que doit-on exactement à ce Conny Plank ? A-t-on réellement failli manquer quelque chose de grand ?
Et bien oui mes amis. Et plus que tout autre chose, ce qui impressionne est cette remarquable maturité, cette griffe, cette sensation indescriptible qui ne trompe pas : c'est du Can. Nul doute que les Allemands ont très vite compris où ils iraient, guidés par leur volonté de faire quelque chose de différent. Nul doute également que Malcolm Mooney était celui qu'il fallait. Et oui il en faut du talent pour précéder sans rougir cet immense petit illuminé aux allures de samouraï sous ecstasys... L'Américain nous débite sans ciller un funk imparable, et bien souvent on se dit que le vrai James Brown était sûrement un sculpteur possédé légèrement paranoïaque. Plus concrètement, l'album renferme probablement certains des plus beaux titres de Can, ainsi Thief ou Butterfly. Mais plus qu'un simple album de Can, celui-ci est un témoignage, la preuve par le son que si certains artistes courront toute leur vie après l'album parfait, d'autres, sans courir après quoi que ce soit, s'en rapprocheront effrontément dès leurs premiers essais. Evidemment, l'histoire de cet album le rend inabouti, brut, mais qu'importe.
Malcolm Money quittera le groupe à la fin de l'année 1969 sur l'avis de son psy, le jeune homme fragile mentalement devenant ingérable sur scène et en coulisse. Liebezeit et Czukay rencontreront Damo Suzuki quelques mois plus tard en train de gesticuler dans la rue tout en priant le soleil et l'inviteront sans jamais l'avoir entendu vraiment chanter à venir combler le vide laissé par Mooney, et ce au cours d'un concert le soir même devant 5 000 personnes. Il fera fuir presque tous les spectateurs, mais cela est une autre histoire... Il quittera le groupe en 1973 après son mariage avec une témoin de Jéhovah, laissant ainsi Karoli et Schmidt assurer la partie vocale sur les albums suivants. Le groupe commença son agonie en 1977 après le départ effectif de Czukay.
Malgré une reformation pour un album auquel participera Mooney en 1989, Can avait dès lors indéniablement fait une croix sur l'époque dorée Tago Mago. Leur public jamais, pour toujours marqué par cette lumière qui habitait l'esprit de ces artistes décidemment bien en avance sur leur temps.
Malgré ce que les profanes vous affirmeront, Monster Movie n'est pas le premier album de Can. Enfin pas vraiment. A la fin des années cinquante, Holger Czukay assiste à un show de Karlheinz Stockhausen, l'Allemand considéré par beaucoup comme un des principaux pionniers de la musique electro. Impressionné par sa performance, Czukay aborde l'artiste qui lui confiera sans mystère que pour faire une telle musique et survivre, la clé est de se marier avec une femme très riche. Sans plus cogiter, Holger Czukay, qui deviendra dès lors l'élève de Stockhausen, s'en ira donc chercher un poste de professeur en Suisse, et plus précisément près du Lac de Genève. Accepté dans une école privée de grand standing, il trouvera rapidement une femme amplement apte à satisfaire ses besoins pécuniaires, le tout accompagné d'un salaire plus que confortable. C'est ainsi que Czukay put mettre suffisamment de côté pour essayer, pendant un an (c'est du moins ce qu'il pensait à l'époque), de monter un groupe qui aurait peut être son petit succès. Ainsi débuta l'épopée d'une formation qui deviendra l'une des plus influentes de sa génération et qui contribuera, au sein du mouvement krautrock, à rendre à l'Allemagne une fierté que les grands "vainqueurs" de la seconde guerre mondiale s'était partagée sans réellement penser, qu'un jour, il serait juste de la restituer.
Encore bien loin de toutes ces considérations, Czukay, basse en main, part à la recherche de musiciens, recherches qui l'amèneront à faire plus amplement la connaissance d'un de ses élèves, Mickael Karoli, qui gagnera rapidement sa place de guitariste (et violoniste par la suite) au sein de la formation naissante. Irmin Schmidt, quant à lui, fera partie du groupe final grâce à sa qualité d'élève de Stockhausen, lui et Czukay liant connaissance au cours de ses leçons. C'est d'ailleurs Schmidt qui le motiva réellement à monter un groupe. La partie piano/synthé étant assurée, il ne manquait plus qu'un chanteur et, bien sûr, un batteur. Et quel batteur ! Jaki Liebezeit, celui qui deviendrait au sein de la formation un véritable métronome humain, l'âme de cette musique binaire et cadencée, intégrera en fait la formation par défaut, faute d'avoir pu trouver un batteur à la demande de Schmidt, un de ses amis. L'Américain Malcolm Mooney, le chanteur de Can pour trois albums (et demi) au total, arriva en dernier et par hasard dans le groupe alors qu'il faisait une petite pause dans sa carrière de sculpteur afin de visiter le monde. Can était né. Enfin, encore une fois, pas vraiment. A l'époque, The Inner Space était né. C'est en effet ainsi que s'appelaient les teutons à leurs débuts, quand ils se faisaient encore la main sur des bandes-son de films qui marquèrent peut être la semaine de leur sortie mais sûrement pas l'histoire... Déjà entendu parler des chefs d'oeuvres érotico-kitsch Kamasutra de Kobi Jaeger et Agilok & Blubbo de l'illustre inconnu Peter F. Schneider ? En fait la moindre personne en a-t-elle déjà entendu parler ?.. Peu importe, toujours est-il que ces navets ont permit au groupe de vivoter, payant ainsi juste de quoi manger et l'entretien du matos. Et oui, à l'époque, pas de location de studio à payer, le locataire d'un petit château à Cologne leur ayant gracieusement offert une pièce où le groupe installera son maigre équipement. Au fil des exhibitions et des répétitions, The Inner Space devint The Can, qui devint à son tour Can (Communism, Anarchism, and Nihilism). Très vite et sans réellement le préméditer, le groupe s'orienta vers un son rock, aux accents parfois orientaux mais avec toujours un soucis d'extrême musicalité. Maîtres mots : la recherche permanente d'une rythmique efficace soulagée de tout superflu, la minimalisation au service d'une ambiance lourde et hypnotique.
C'est donc tout naturellement que le groupe acquit l'ambition de gagner en notoriété, une ambition qui les conduisit en cette belle et mouvementée année 1968 à enregistrer leur premier album : Prepared To Meet Thy Pnoom. Même si à première vue voilà un album qui n'a pas grand chose à voir avec le Delay ici chroniqué sorti en 1981, une courte explication suffira à expliciter ce lien on ne peut plus inextricable. Une fois les enregistrements de PTMTP terminés, les Can eurent beau démarcher un nombre conséquent de maisons de disques Allemandes, aucune n'accepta de produire ce genre de musique, il faut bien le dire totalement novatrice, et qui plus est faite par une bande de semis inconnus en mal de financements... Le laissant donc de côté pour l'instant, les Can choisirent donc de ne pas se décourager pour si peu et enregistrèrent dans les mois qui suivirent le Monster Movie que vous connaissez probablement et qui lança leur carrière. Et ce n'est qu'en 1981 que les Can croisent Konrad Plank, le légendaire producteur Allemand à qui l'ont doit un bon nombre de monuments du Krautrock mais pas seulement (Kraftwerk, Neu ! , Guru Guru, Devo, Killing Joke...), le Monsieur acceptant volontiers de produire l'album sous le nom Delay 1968 (Retard 1968). Voilà pourquoi le (presque) tout premier album de Can ne figure qu'en 14ème position dans leur discographie... Mais que doit-on exactement à ce Conny Plank ? A-t-on réellement failli manquer quelque chose de grand ?
Et bien oui mes amis. Et plus que tout autre chose, ce qui impressionne est cette remarquable maturité, cette griffe, cette sensation indescriptible qui ne trompe pas : c'est du Can. Nul doute que les Allemands ont très vite compris où ils iraient, guidés par leur volonté de faire quelque chose de différent. Nul doute également que Malcolm Mooney était celui qu'il fallait. Et oui il en faut du talent pour précéder sans rougir cet immense petit illuminé aux allures de samouraï sous ecstasys... L'Américain nous débite sans ciller un funk imparable, et bien souvent on se dit que le vrai James Brown était sûrement un sculpteur possédé légèrement paranoïaque. Plus concrètement, l'album renferme probablement certains des plus beaux titres de Can, ainsi Thief ou Butterfly. Mais plus qu'un simple album de Can, celui-ci est un témoignage, la preuve par le son que si certains artistes courront toute leur vie après l'album parfait, d'autres, sans courir après quoi que ce soit, s'en rapprocheront effrontément dès leurs premiers essais. Evidemment, l'histoire de cet album le rend inabouti, brut, mais qu'importe.
Malcolm Money quittera le groupe à la fin de l'année 1969 sur l'avis de son psy, le jeune homme fragile mentalement devenant ingérable sur scène et en coulisse. Liebezeit et Czukay rencontreront Damo Suzuki quelques mois plus tard en train de gesticuler dans la rue tout en priant le soleil et l'inviteront sans jamais l'avoir entendu vraiment chanter à venir combler le vide laissé par Mooney, et ce au cours d'un concert le soir même devant 5 000 personnes. Il fera fuir presque tous les spectateurs, mais cela est une autre histoire... Il quittera le groupe en 1973 après son mariage avec une témoin de Jéhovah, laissant ainsi Karoli et Schmidt assurer la partie vocale sur les albums suivants. Le groupe commença son agonie en 1977 après le départ effectif de Czukay.
Malgré une reformation pour un album auquel participera Mooney en 1989, Can avait dès lors indéniablement fait une croix sur l'époque dorée Tago Mago. Leur public jamais, pour toujours marqué par cette lumière qui habitait l'esprit de ces artistes décidemment bien en avance sur leur temps.
Excellent ! 18/20 | par JoHn DoriAne |
En ligne
543 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages