Jeff Buckley
Last Goodbye |
Label :
Columbia |
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Ceux qui ont eu la chance de tomber un jour sur Jeff Buckley gardent plus en mémoire l'idée d'un miracle que d'une rencontre tangible. C'est que ce type, parti aussi vite et aussi brutalement qu'il a débarqué, fut une sorte d'apparition : le témoignage que parfois sur Terre, le talent garde encore bien des mystères et peut avoir une origine qui échappe à la rationalité.
On pourrait penser à l'écoute de "Last Goodbye" qu'il ne s'agit finalement là que d'une musique légère, drapée de poésies larmoyantes. Ce serait se tromper sur la véritable nature et la complexité des intentions de ce chanteur. Capable de sublimer toute portion du spectre de ressenti de l'homme, Jeff Buckley forçait ses traits, allait jusqu'au bout, quitte à en faire trop, pour forcer l'auditeur à admettre que les limites n'existent pas. Une sorte de jeu avec les frontières, avec son propre corps comme avec les limites instrumentales, comme un défi à la mort (Jeff Buckley en fera plusieurs, et finit par perdre évidement). De notre côté, c'est l'affrontement avec l'ébouriffant et le suprême.
Et pourtant ça tient à peu de choses d'être à ce point bouleversé : une voix capable de quelques changements d'octaves à faire frissonner, des entrelacs de guitares fluides et en même temps novatrices, des reprises de reprises de grands classiques complètement habitées et bien d'autres choses encore. Le choc, impossible à prévoir malgré moult imaginations, au-delà d'être d'une force de percussion imparable, laisse surtout une marque indélébile.
Mais ce type là, le fils de son père, a jeté tant de choses dans la bataille, drogue, sexe, peur et lyrisme, sous des manières majestueuses, qu'il fit toucher du doigt aux gens une certaine idée du céleste. Ou du moins l'appréhension que la musique pouvait avoir un contact avec la passion, et que dès lors l'union dépassait les cadres classiques. Le seul et tragiquement dernier album "Grace" est un OVNI et ses chansons ses lumières clignotantes, à la fois blafardes et éblouissantes.
Car la musique de Jeff Buckley était tout aussi sophistiquée que chaleureuse, intime que mystique. Elle convertissait en symboles, notes et chevauchement de mélodies, les symptômes d'un être en proie à des humeurs tout aussi vives que délicates. Toujours sur le fil, même naviguant en eaux paisibles, ce chanteur savait se placer toujours au bord de la rupture, barrage d'émotions prêt à déborder. Si bien que les chansons les plus douces et berçantes se lovaient alors dans un calme qui se payait le luxe d'être tout aussi vibrant et vertigineux.
Pourtant chanson romantique au tempo roucoulant, sous fond de folk-pop à la guitare sèche, dont les violons viennent se manifester de façon de plus en plus présentes, "Last Goodbye" recèle bien des secrets et des chausses trappes. Son intro tout en slides subtiles, ses riffs de guitares bien plus percutantes, le ton général qui glisse petit à petit d'une ballade vers une beauté orientale absolument inouïe, avec surcharge de violons, tambourins et vocalises arabisantes. Sans posséder de couplet ou de refrains, mais en gardant une unité solide, la chanson démontre une déclinaison de la beauté balayant aussi bien la finesse cristalline que la percussion vivifiante.
Le sobre et simple "Lost Highway" (version live) est un blues où la voix émouvante, forte et puissante de Jeff Buckley colle à merveille à la plainte rudimentaire et terre-à-terre que peut représenter ce type de chanson. Pas de clinquant ici, pas d'épates, pas de lyrisme exagéré : la simplicité même, et toujours cette finesse incroyable dans les émotions.
Ceux qui ont pensé que Jeff Buckley était quelqu'un de trop lisse, se gorgeant de procédés pompeux, savamment étudiés, misant tout sur sa voix exceptionnelle, doivent se pencher sur la perle que contient cet EP indispensable : le monumental morceau fleuve "Kanga-Roo".
Démontant tous les préjugés, le titre débute par des phrasés déchirant qui répondent en dialogue à des mélodies sublimes à la guitare. Puis petit à petit la basse fait son apparition, la batterie aussi, mais non plus pour accompagner le ton global du morceau comme d'habitude, mais au contraire pour le saboter, pour le contrer et se faire plus tapageur. Sans perdre de vue un seul instant la beauté stupéfiante atteinte. Tout d'abord montée en puissance à couper le souffle, faisant grimper la tension, laissant de côté le chant pour se concentrer sur l'intensité instrumentale, le morceau devient fou vers la cinquième minute. Après c'est l'emballement, la vitesse, l'urgence et l'envie de ne plus rien lâcher jusqu'à l'épuisement. Roulement de batterie écrasant et complètement dingue, riffs tressautant de guitares, tension tout du long pendant bien dix autres minutes interminables, plus de chant mais de l'improvisation fracassante et du lâché prise maîtrisé et génial. On en frémit de plaisir. Les brides ne sont plus tenues et ça s'accélère, dodeline, sans pour autant partir dans le n'importe quoi. Il n'y a plus qu'à se laisser emporter par ce tourbillon étourdissant. Ici, il n'y a plus cette sorte d'angelot, mais un doux-dingue, capable des sautes d'humeurs les plus incroyables.
Ce gars-là, on le sait, était insaisissable et c'est en cela qu'il relevait du miracle et de l'admiration. Sa musique à la fois chaude et personnelle, et à la fois touche-à-tout, le rendait atypique comme indéfinissable. Génie volatil, Jeff Buclkey ne devait rien à personne. Trop tangentielle et large pour être cadenassées, ses chansons ne se rattachent à rien de connu. Et c'est sans aucun doute sur le divin "Mojo Pin" que les multiples facettes de cet artiste sont le plus représentées.
Ce titre, sublimé ici en version live et rallongé de surcroît, est un des rares existant pouvant se permettre le privilège de faire frissonner l'auditeur dès ses deux premières notes (ces petits fantômes qui surviennent juste avant que la voix ne rentre), en une sorte de réflexe conditionné. Derrière des vocalises tremblantes, surviennent une douce et fragile mélodie qui va progressivement et très lentement prendre de l'ampleur. Le rythme de la batterie se fera de plus en plus insistante, les guitares plus mordantes et Jeff Buckley passera d'une voix de tête fluette et innocente à une voix de poitrine déconcertante. Le tempo glisse vers une insistance à en découdre, sans que le morceau ne perde de son étrangeté, avec ces légers arrangements en arrière fond, ces slides, ou ses suspensions sèches, jusqu'à ce que ça explose. Voix qui se lâche, coups de marteau façonnés par les guitares, énervements, dérapages, d'une force qui scotche l'auditeur. Jeff Buckley s'énerve : "Black beauty, I love you so.... !". Ce crie reste dans les mémoires. Et le morceau s'arrête là, brusquement.
Il ne reste plus alors qu'à reprendre son souffle. Et se concentrer pour décélérer ses battements cardiaques. Car on est persuadé d'une chose : on est sorti du cadre du rationnel. Et sachant que les rendez-vous avec Jeff Buckley sont autant fugaces que magiques, ce fait renforce cet impression que, non, définitivement non, ce type là n'était pas des nôtres. Mais plutôt un ange. Un ange infernal, s'il en existe...
On pourrait penser à l'écoute de "Last Goodbye" qu'il ne s'agit finalement là que d'une musique légère, drapée de poésies larmoyantes. Ce serait se tromper sur la véritable nature et la complexité des intentions de ce chanteur. Capable de sublimer toute portion du spectre de ressenti de l'homme, Jeff Buckley forçait ses traits, allait jusqu'au bout, quitte à en faire trop, pour forcer l'auditeur à admettre que les limites n'existent pas. Une sorte de jeu avec les frontières, avec son propre corps comme avec les limites instrumentales, comme un défi à la mort (Jeff Buckley en fera plusieurs, et finit par perdre évidement). De notre côté, c'est l'affrontement avec l'ébouriffant et le suprême.
Et pourtant ça tient à peu de choses d'être à ce point bouleversé : une voix capable de quelques changements d'octaves à faire frissonner, des entrelacs de guitares fluides et en même temps novatrices, des reprises de reprises de grands classiques complètement habitées et bien d'autres choses encore. Le choc, impossible à prévoir malgré moult imaginations, au-delà d'être d'une force de percussion imparable, laisse surtout une marque indélébile.
Mais ce type là, le fils de son père, a jeté tant de choses dans la bataille, drogue, sexe, peur et lyrisme, sous des manières majestueuses, qu'il fit toucher du doigt aux gens une certaine idée du céleste. Ou du moins l'appréhension que la musique pouvait avoir un contact avec la passion, et que dès lors l'union dépassait les cadres classiques. Le seul et tragiquement dernier album "Grace" est un OVNI et ses chansons ses lumières clignotantes, à la fois blafardes et éblouissantes.
Car la musique de Jeff Buckley était tout aussi sophistiquée que chaleureuse, intime que mystique. Elle convertissait en symboles, notes et chevauchement de mélodies, les symptômes d'un être en proie à des humeurs tout aussi vives que délicates. Toujours sur le fil, même naviguant en eaux paisibles, ce chanteur savait se placer toujours au bord de la rupture, barrage d'émotions prêt à déborder. Si bien que les chansons les plus douces et berçantes se lovaient alors dans un calme qui se payait le luxe d'être tout aussi vibrant et vertigineux.
Pourtant chanson romantique au tempo roucoulant, sous fond de folk-pop à la guitare sèche, dont les violons viennent se manifester de façon de plus en plus présentes, "Last Goodbye" recèle bien des secrets et des chausses trappes. Son intro tout en slides subtiles, ses riffs de guitares bien plus percutantes, le ton général qui glisse petit à petit d'une ballade vers une beauté orientale absolument inouïe, avec surcharge de violons, tambourins et vocalises arabisantes. Sans posséder de couplet ou de refrains, mais en gardant une unité solide, la chanson démontre une déclinaison de la beauté balayant aussi bien la finesse cristalline que la percussion vivifiante.
Le sobre et simple "Lost Highway" (version live) est un blues où la voix émouvante, forte et puissante de Jeff Buckley colle à merveille à la plainte rudimentaire et terre-à-terre que peut représenter ce type de chanson. Pas de clinquant ici, pas d'épates, pas de lyrisme exagéré : la simplicité même, et toujours cette finesse incroyable dans les émotions.
Ceux qui ont pensé que Jeff Buckley était quelqu'un de trop lisse, se gorgeant de procédés pompeux, savamment étudiés, misant tout sur sa voix exceptionnelle, doivent se pencher sur la perle que contient cet EP indispensable : le monumental morceau fleuve "Kanga-Roo".
Démontant tous les préjugés, le titre débute par des phrasés déchirant qui répondent en dialogue à des mélodies sublimes à la guitare. Puis petit à petit la basse fait son apparition, la batterie aussi, mais non plus pour accompagner le ton global du morceau comme d'habitude, mais au contraire pour le saboter, pour le contrer et se faire plus tapageur. Sans perdre de vue un seul instant la beauté stupéfiante atteinte. Tout d'abord montée en puissance à couper le souffle, faisant grimper la tension, laissant de côté le chant pour se concentrer sur l'intensité instrumentale, le morceau devient fou vers la cinquième minute. Après c'est l'emballement, la vitesse, l'urgence et l'envie de ne plus rien lâcher jusqu'à l'épuisement. Roulement de batterie écrasant et complètement dingue, riffs tressautant de guitares, tension tout du long pendant bien dix autres minutes interminables, plus de chant mais de l'improvisation fracassante et du lâché prise maîtrisé et génial. On en frémit de plaisir. Les brides ne sont plus tenues et ça s'accélère, dodeline, sans pour autant partir dans le n'importe quoi. Il n'y a plus qu'à se laisser emporter par ce tourbillon étourdissant. Ici, il n'y a plus cette sorte d'angelot, mais un doux-dingue, capable des sautes d'humeurs les plus incroyables.
Ce gars-là, on le sait, était insaisissable et c'est en cela qu'il relevait du miracle et de l'admiration. Sa musique à la fois chaude et personnelle, et à la fois touche-à-tout, le rendait atypique comme indéfinissable. Génie volatil, Jeff Buclkey ne devait rien à personne. Trop tangentielle et large pour être cadenassées, ses chansons ne se rattachent à rien de connu. Et c'est sans aucun doute sur le divin "Mojo Pin" que les multiples facettes de cet artiste sont le plus représentées.
Ce titre, sublimé ici en version live et rallongé de surcroît, est un des rares existant pouvant se permettre le privilège de faire frissonner l'auditeur dès ses deux premières notes (ces petits fantômes qui surviennent juste avant que la voix ne rentre), en une sorte de réflexe conditionné. Derrière des vocalises tremblantes, surviennent une douce et fragile mélodie qui va progressivement et très lentement prendre de l'ampleur. Le rythme de la batterie se fera de plus en plus insistante, les guitares plus mordantes et Jeff Buckley passera d'une voix de tête fluette et innocente à une voix de poitrine déconcertante. Le tempo glisse vers une insistance à en découdre, sans que le morceau ne perde de son étrangeté, avec ces légers arrangements en arrière fond, ces slides, ou ses suspensions sèches, jusqu'à ce que ça explose. Voix qui se lâche, coups de marteau façonnés par les guitares, énervements, dérapages, d'une force qui scotche l'auditeur. Jeff Buckley s'énerve : "Black beauty, I love you so.... !". Ce crie reste dans les mémoires. Et le morceau s'arrête là, brusquement.
Il ne reste plus alors qu'à reprendre son souffle. Et se concentrer pour décélérer ses battements cardiaques. Car on est persuadé d'une chose : on est sorti du cadre du rationnel. Et sachant que les rendez-vous avec Jeff Buckley sont autant fugaces que magiques, ce fait renforce cet impression que, non, définitivement non, ce type là n'était pas des nôtres. Mais plutôt un ange. Un ange infernal, s'il en existe...
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Vic |
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