Radiohead
Knives Out |
Label :
Parlophone |
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Il est presque surprenant, après l'écoute des albums de pop expérimentale que sont Kid A et Amnesiac, de découvrir des titres aussi reposés et adoucis que ceux compris dans cet EP. Ils sont en tout cas la preuve que à l'époque le combo d'Oxford n'avait rien oublié de son talent à écrire des chansons à la beauté incomparable.
Tout d'abord "Knives Out", avec son rythme tranquille et chaloupé, se love dans une tendre mélancolie dérivative, avec ses entrelacs de guitares, à la fois sèche et électrique, et le chant de Thom Yorke qui diminue ses geignements pour se limiter à une douce lamentation.
Et dès les petites touches rebondissantes, colorées comme des ballons d'enfants, de "Worrywort", on plonge dans un monde encore plus délicat, d'une douceur absolue. La boite à rythme ne se fait qu'accompagnatrice et répète un même schéma sur lequel va se poser la voix à demi-fatiguée de Thom Yorke, coincée dans une tonalité étroite, mais d'une finesse incroyable. Des nappes de fééries subliment le morceau et l'emmènent vers des contrées oniriques, dont les échos se font de plus en plus lointain à mesure qu'on glisse vers l'évasion, notamment sur la fin lorsque après des vocalises angéliques, Thom Yorke se fait plus grave et répète sans y croire "Such a beautiful day".
La grâce atteinte, de manière pourtant si synthétique, sidère et plonge dans un état extatique irréversible. La légèreté et l'évasion submergent tout notre être. On a l'impression de nager dans des bulles soufflées par des enfants elfes.
On explore ainsi une tentative de fuite vers un monde enchanteur, bercé par des arrivées célestes, un moyen comme un autre de laisser s'échapper son bourdon.
Le divin "Fog" poursuit le rêve : basé sur des bruits de froissement d'ailes, de couvercle de cocotte-minute qui remue ou de moteurs d'OVNI, soutenu par une basse chaude et profonde, quelques touches magnifiques au clavier, un tambourin et surtout, surtout, la voix splendide de retenue de Thom Yorke, souvent doublée, le morceau se laisse ensuite traverser de guitares jusqu'à une explosion lumineuse.
A se demander pourquoi ces face-b n'ont pas été sélectionnées à la place d'autres. Et de comprendre alors que le but du diptyque Kid A / Amnesiac n'était pas forcément de soigner un esthétisme délicat et intelligent, mais au contraire de surprendre et de faire mal.
Après avoir signé un des plus grand disques des années 90 (voire même de tous les temps), Radiohead était au bord de la rupture. Thom Yorke n'assumait pas le succès. Il ne le comprenait pas et ne le digérait pas.
Refusant de se plier aux exigences, il douta énormément, s'interrogea sur le sens de la musique, sur sa portée, sur la notion de reconnaissance médiatique, s'isola, ne parlait plus, ne mangeait plus et... péta un plomb. Crises aigues, paranoïa, sautes d'humeur incessantes : l'esprit de Thom Yorke était en plein bouillonnement. Pris entre deux feux, son désir de succès critique et son manque d'estime pour lui-même, il ne saura plus où donner de la tête.
Seule façon de s'échapper de cette pression : tout saccager, saboter son travail et ses qualités reconnues, se lancer tête baissée dans l'expérimental, décliner le travail du groupe vers une autogestion éclatée et assumer ouvertement un massacre en règle de la pop. De manière à évacuer le malaise sous forme de catharsis et espérer ainsi renaître beaucoup plus soulagé.
Les travaux d'enregistrements paraîtront sous deux formes : tout d'abord le rude Kid-A, qui déroutera complètement l'auditeur tout en exerçant sur lui une fascination énorme. L'effet est intense : Radiohead s'éloigne totalement des sentiers battus et exprime une forme de bouillonnement intense en détruisant consciencieusement les atouts des années précédentes, à l'image des crises de Thom Yorke en studio (capable de tout casser et de tout quitter en prenant sa voiture). On y retrouve alors un chant déformé et samplé, réduit à l'état d'outil, une boite à rythme déglinguée, un morceau d'ambient, des touches electro primitives mais aussi un massacre inouïe avec harpe d'un morceau pourtant si sublime dans sa version initiale écrite plusieurs années auparavant. Le tout sera accompagné d'une pochette absconse, superbe mais sans indications, et d'une absence totale de promotions.
Peu de temps après survient Amnesiac, pourtant issus des mêmes enregistrements, mais exprimant les doutes de Thom Yorke autrement. Beaucoup plus mystique et effleurant, il se laisse aller au même spleen mais de manière plus feutrée, voire plus lyrique. Ceux qui considèrent que les deux albums sont du même ressort n'ont donc rien compris. Sur Amnesiac, l'ambiance est chaleureuse mais inquiétante, sans être pour autant apaisée. Tristes, contemplatives, parfois biscornues, les chansons de ce deuxième album atteignent une beauté inégalable dans la maîtrise des peurs et des passions dévorantes.
Ces deux albums étaient donc une manière détournée de prendre les gens, soi-même et la musique en général, à contre-pied. Il ne signifiait en aucun cas que le combo d'Oxford avait délaissé ou oublié son goût pour les suspensions célestes et les miracles de beauté absolue.
Sublime de magnificence élégiaque, Radiohead n'a pas fini de livrer l'incroyable complexité de son écriture. Au même titre que "Fog" ou "Worrywort", les autres faces-B de cette époque sont donc indispensables, en plus d'être superbes, pour cerner l'insondable expression des troubles et des recherches sonores rattachés à ce groupe unique.
Tout d'abord "Knives Out", avec son rythme tranquille et chaloupé, se love dans une tendre mélancolie dérivative, avec ses entrelacs de guitares, à la fois sèche et électrique, et le chant de Thom Yorke qui diminue ses geignements pour se limiter à une douce lamentation.
Et dès les petites touches rebondissantes, colorées comme des ballons d'enfants, de "Worrywort", on plonge dans un monde encore plus délicat, d'une douceur absolue. La boite à rythme ne se fait qu'accompagnatrice et répète un même schéma sur lequel va se poser la voix à demi-fatiguée de Thom Yorke, coincée dans une tonalité étroite, mais d'une finesse incroyable. Des nappes de fééries subliment le morceau et l'emmènent vers des contrées oniriques, dont les échos se font de plus en plus lointain à mesure qu'on glisse vers l'évasion, notamment sur la fin lorsque après des vocalises angéliques, Thom Yorke se fait plus grave et répète sans y croire "Such a beautiful day".
La grâce atteinte, de manière pourtant si synthétique, sidère et plonge dans un état extatique irréversible. La légèreté et l'évasion submergent tout notre être. On a l'impression de nager dans des bulles soufflées par des enfants elfes.
On explore ainsi une tentative de fuite vers un monde enchanteur, bercé par des arrivées célestes, un moyen comme un autre de laisser s'échapper son bourdon.
Le divin "Fog" poursuit le rêve : basé sur des bruits de froissement d'ailes, de couvercle de cocotte-minute qui remue ou de moteurs d'OVNI, soutenu par une basse chaude et profonde, quelques touches magnifiques au clavier, un tambourin et surtout, surtout, la voix splendide de retenue de Thom Yorke, souvent doublée, le morceau se laisse ensuite traverser de guitares jusqu'à une explosion lumineuse.
A se demander pourquoi ces face-b n'ont pas été sélectionnées à la place d'autres. Et de comprendre alors que le but du diptyque Kid A / Amnesiac n'était pas forcément de soigner un esthétisme délicat et intelligent, mais au contraire de surprendre et de faire mal.
Après avoir signé un des plus grand disques des années 90 (voire même de tous les temps), Radiohead était au bord de la rupture. Thom Yorke n'assumait pas le succès. Il ne le comprenait pas et ne le digérait pas.
Refusant de se plier aux exigences, il douta énormément, s'interrogea sur le sens de la musique, sur sa portée, sur la notion de reconnaissance médiatique, s'isola, ne parlait plus, ne mangeait plus et... péta un plomb. Crises aigues, paranoïa, sautes d'humeur incessantes : l'esprit de Thom Yorke était en plein bouillonnement. Pris entre deux feux, son désir de succès critique et son manque d'estime pour lui-même, il ne saura plus où donner de la tête.
Seule façon de s'échapper de cette pression : tout saccager, saboter son travail et ses qualités reconnues, se lancer tête baissée dans l'expérimental, décliner le travail du groupe vers une autogestion éclatée et assumer ouvertement un massacre en règle de la pop. De manière à évacuer le malaise sous forme de catharsis et espérer ainsi renaître beaucoup plus soulagé.
Les travaux d'enregistrements paraîtront sous deux formes : tout d'abord le rude Kid-A, qui déroutera complètement l'auditeur tout en exerçant sur lui une fascination énorme. L'effet est intense : Radiohead s'éloigne totalement des sentiers battus et exprime une forme de bouillonnement intense en détruisant consciencieusement les atouts des années précédentes, à l'image des crises de Thom Yorke en studio (capable de tout casser et de tout quitter en prenant sa voiture). On y retrouve alors un chant déformé et samplé, réduit à l'état d'outil, une boite à rythme déglinguée, un morceau d'ambient, des touches electro primitives mais aussi un massacre inouïe avec harpe d'un morceau pourtant si sublime dans sa version initiale écrite plusieurs années auparavant. Le tout sera accompagné d'une pochette absconse, superbe mais sans indications, et d'une absence totale de promotions.
Peu de temps après survient Amnesiac, pourtant issus des mêmes enregistrements, mais exprimant les doutes de Thom Yorke autrement. Beaucoup plus mystique et effleurant, il se laisse aller au même spleen mais de manière plus feutrée, voire plus lyrique. Ceux qui considèrent que les deux albums sont du même ressort n'ont donc rien compris. Sur Amnesiac, l'ambiance est chaleureuse mais inquiétante, sans être pour autant apaisée. Tristes, contemplatives, parfois biscornues, les chansons de ce deuxième album atteignent une beauté inégalable dans la maîtrise des peurs et des passions dévorantes.
Ces deux albums étaient donc une manière détournée de prendre les gens, soi-même et la musique en général, à contre-pied. Il ne signifiait en aucun cas que le combo d'Oxford avait délaissé ou oublié son goût pour les suspensions célestes et les miracles de beauté absolue.
Sublime de magnificence élégiaque, Radiohead n'a pas fini de livrer l'incroyable complexité de son écriture. Au même titre que "Fog" ou "Worrywort", les autres faces-B de cette époque sont donc indispensables, en plus d'être superbes, pour cerner l'insondable expression des troubles et des recherches sonores rattachés à ce groupe unique.
Parfait 17/20 | par Vic |
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