Richard Youngs

Quand je suis monté sur scène tout ce dont je me souviens c'est que mon set était assez chaotique, mais en tout cas je chantais. [mardi 23 juin 2020]

Je me souviens de ces mois passés entre quatre murs à m'imaginer tout ce que je raconterai à ceux dont j'ai été séparé, et puis me voilà aujourd'hui à en avoir ras-le-cul de demander à tous mes semblables "et toi, t'as fait quoi pendant le confinement???". Et ben je vais vous le dire tout de suite comme ça on pourra passer à autre chose : moi pendant le confinement, j'ai (beaucoup) écouté Richard Youngs, barde expérimental Écossais, sorte d'âme punk en peine, compositeur ultra productif, improvisateur chaotique, vocaliste à la voix pareille à une plainte de baleine.

Tout ça, ça donne des idées, comme par exemple de lui proposer une interview par mail. Nos échanges se sont égrainés paisiblement de jours en jours, et on vous propose de venir discuter avec nous de labels par milliers, de bardes celtes, de musique faite par ordinateur, de comment trouver sa voix, de concerts qui osent, et bien sûr des 36 projets en attente du sieur Youngs, qui arriveront... un jour !

Et en deuxième partie d'interview on présentera quelques disques piochés dans la carrière récente du bricoleur stakhanoviste.


Propos recueillis par Wazoo/Martin

For all non-french speakers, you'll find right here the full english transcript



Martin : Bonjour Richard, ravi de t’accueillir sur XSilence – à une distance raisonnable, gestes barrière oblige. Je connais ta musique depuis quelques années, mais jusqu’à récemment j’étais resté en surface. En fait, c’est pendant le confinement que je me suis véritablement plongé dans ta vaste discographie. Tu ne t’es d’ailleurs pas arrêté de travailler durant la quarantaine, tu as même été particulièrement productif, publiant 2 anthologies expérimentales, un projet de percussions, un album drone et glitch et une série d’EPs conceptuels. Ainsi voici ma première question : comment vis-tu en confinement, est-ce que ça a eu un impact sur ta manière de créer ?

Richard : J’ai assez vite développé une sorte de routine. La plupart des matinées je sors le chien, je rentre pour un café et je traîne avec ma famille. J’essaie de faire du télétravail pour mon mi-temps de libraire. Et puis plus tard je fais de la musique. Dans la soirée ça m’arrive de regarder un film, mais sinon je me suis pris d’intérêt pour les dramas policiers procéduraux et pour la cuisine.

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Quand je ne fais pas de musique je me sens frustré et je deviens irritable. Donc en fait j’enregistre probablement davantage pendant le confinement qu’avant – le piano me manque, j’avais l’habitude d’aller dans un studio pour ça, mais j’ai d’autres instruments dans mon appart que je peux utiliser. Bien sûr il n’y a plus de concerts, ça fait bizarre. C’est aussi étrange de ne plus jouer à plusieurs. Juste avant le confinement, AMOR avait enregistré des nouveaux trucs et j’étais impliqué dans un projet de communauté. Mais bon, j’aime aussi faire ma tambouille tout seul.

Tu dis que ne pas faire de musique est mauvais pour ton humeur, j’imagine que ça explique au moins en partie ta productivité affolante durant toutes ces années ! À ce propos, est-ce que tu t’imposes une sorte de « discipline » qui te permet de canaliser ton impulsion créatrice en musique ? Par exemple est-ce que tu décides à l’avance de règles de compo ou d’impros ?

Je peux faire ce que je veux, ce qui est toujours un bon point de départ. De ce fait, rien ne me parait trop ridicule, trop difficile, trop vain, trop facile, trop chronophage. Mais cela étant dit, je me lance rarement dans quelque chose sans avoir une sorte de concept préalable. Par exemple Ein Klein Nein, mon plus récent LP sur le label VHF, avait pour horizon de recréer une musique que j’avais entendue dans un rêve lucide. Vistas, que j’ai fait en confinement et qui est sur Bandcamp, part de l’envie de faire sens de mon essai de 90 jours sur le logiciel Ableton – c’est mon premier album fait entièrement sur ordinateur.



Eh bien Vistas se trouve être l’un des prétendants au titre de mon album favori dans ta discographie. Au moment où on en parle j’essaye d’ailleurs d’écrire quelque chose dessus… N’hésite pas à essayer d’autres logiciels audio à l’occasion ! Une question rapide puisque tu mentionnes Bandcamp ; en parcourant la page de No Fans, ton propre label, j’ai remarqué que beaucoup de tes albums disparaissaient. Est-ce que tu effaces régulièrement d’internet certains de tes anciens travaux ? Si oui, pourquoi ?

Merci. Ouais, je vois la plupart de mes sorties Bandcamp comme des publications « pop-up », l’équivalent digital d’une édition limitée, du type vinyle limité à 100 copies. Après, certaines d’entre elles sont plus permanentes – Vistas notamment. Mais souvent pour moi, publier un truc sur Bandcamp est une manière de ressentir une sorte d’achèvement, de telle manière que je n’ai plus à y penser après. Ça me permet de passer à autre chose. Je ne me soucie pas vraiment de produire des chef-d’œuvres, c’est plutôt une manière de me maintenir amusé – d’une manière compulsive, certes.

Cette volonté de t’auto-divertir t’a amené à te confronter à tant de styles et genres qu’en fin de compte tu te catégorise toi-même sous l’étiquette « no genre ». Une belle trouvaille, ça sonne encore plus punk que « no wave » ! Mais – du moins à mes oreilles – la plupart du temps il y a quelque chose dans ton travail qui le rend 100% identifiable comme étant du Richard Youngs. J’imagine qu’une part de ce style est ta voix, mais pas tant le grain ou la technique de ta voix que la place que tu lui fais prendre dans tes compositions. Comme un outil de composition à part entière. J’ai souvent l’impression que tes chansons pourraient fonctionner acapella. Je ne suis pas sûr de pouvoir articuler ça sous forme de question, mais j’aimerais que tu parles de l’importance que tu accordes à ta voix dans ton processus créatif.



Je pense que le tournant s’est joué alors que je me produisais au Kraak festival à Hasselt il y a très longtemps. J’étais venu avec l’intention de jouer quelque chose d’assez austère et expérimental, avec une guitare électrique et des effets, mais à mesure que la nuit avançait j’entendais s’enchainer des sets entiers de musique austère et expérimentale, souvent sur ordinateur. Là je me suis dit : je n’ai pas envie de faire ça, en fait. C’est un leitmotiv chez moi, d’être dans la réaction et l’opposition. Quand je suis monté sur scène tout ce dont je me souviens c’est que mon set était assez chaotique, mais en tout cas je chantais. Je chantais des trucs dont j’avais oublié les paroles, mais ça m’a fait l’effet d’une véritable expérimentation, bien plus que tout ce que j’aurais pu faire à la place. Et ça m’a fait réaliser que j’aimais chanter.

Depuis ouais, j’ai fait des concerts acapellas et même un album en voix seule. J’entends la voix comme un instrument. Certains en jouent mieux que d’autres, à mon goût. Même s’il y a des mots, ces mots doivent avoir de la substance, et plutôt que d’être un véhicule de sens littéral je vois la voix comme ayant les mêmes propriétés et variables que n’importe quel autre composant musical. Il n’y a qu’à piocher, en soi, je suis prêt à utiliser tout ce qui me parait faire sens.

Je n’ai pas encore été à un de tes concerts, mais j’ai entendu beaucoup d’opinions différentes (et contrastées!). Certains disent que c’est conflictuel, agressif, d’autres au contraire que c’est accueillant, d’autres que c’est imprévisible, aliénant, etc. Pour sûr, ça me laisse avec des attentes incertaines ! Il y a une aura mystérieuse qui entoure tes sets, j’espère pouvoir te voir une fois que la situation se sera améliorée. Comment tu envisages les concerts ? Et est-ce que ton état d’esprit a changé avec les années ?

Mes plus vieux concerts datent de mon adolescence, dans les années 80, je me produisais dans les clubs folk de St. Albans. Pour moi c’était super : je n’avais pas à passer d’audition ou à envoyer une démo. Tu pouvais juste grimper sur scène et faire ton truc pendant 10 minutes. En ce sens, c’était très démocratique. J’étais jeune et énervé, et – c’est vrai – mes performances étaient conflictuelles, mais d’une façon assez calme. Tu peux en entendre un enregistrement dans un des No Fans Compendium, le morceau « Nineteen Used Postage Stamps » où je me suis contenté de continuer de jouer jusqu’à ce que je sois physiquement retiré de la scène. Mais au fond, pour être honnête, j’étais surtout nerveux et peu confiant à propos de ce que je faisais, mon côté conflictuel était probablement un mécanisme de défense. Après cette période je n’ai quasiment plus joué – pendant quoi, 10 ans peut-être ? Quand je m’y suis remis, à Glasgow, j’ai vraiment essayé de me dépatouiller pour savoir comment m’y prendre. D’ailleurs, je dirais que c’est encore mon approche aujourd’hui. J’essaye de faire sens de cette situation ; être dans une salle devant des gens… Une fois, après un concert, quelqu’un m’a dit « c’est pas du divertissement, hein ? » Et non, ça n’en est pas. Je veux dire, j’essaye d’y trouver de l’intérêt ; présenter un corpus de travail à un public c’est pas mon truc. Même si en cas de besoin je peux toujours m’appuyer là-dessus. Je pense que jouer live peut être une expérience très expérimentale. Ça m’est pas mal arrivé de me planter terriblement en situation de concert, mais bon j’ai envie de dire : et alors ?



Je suis d’accord. Une des raisons qui fait que je ne vais plus à autant de concerts que je pourrais, c’est que je ne trouve pas énormément d’intérêt à l’approche type « je rejoue mon album sur scène ». Parfois j’y prends beaucoup de plaisir bien sûr, mais j’apprécie beaucoup plus d’aller voir des artistes qui tentent des choses différentes à chaque fois, comme The Necks, Jenny Hval, Pauline Oliveros, et globalement la plupart des concerts d’improvisation auxquels j’ai pu aller. Même cette fois où je suis allé voir Aine O’Dwyer au festival Le Guess Who?, j’étais mortifié et j’ai eu l’impression qu’elle avait trollé tout le public bien comme il faut – mais c’était quand même une expérience unique. Je ne regrette pas – avec le recul – d’avoir choisi sa performance plutôt qu’une autre même si j’en suis ressorti passablement agacé.

Qu’est-ce qu’elle a fait, Aine ? Ça avait l’air super !

Ma mémoire est un peu brumeuse, mais elle jouait sur un orgue d’église, perchée en hauteur – on ne la voyait pas – et elle jouait des notes aiguës, tenues, faisait des vocalises étranges (dont du chant de gorge stylé, j’avoue), balançant des trucs dans sa cabine et faisant des bruits avec le bois. Tout en balançant à intervalles réguliers des feuilles de partition par-dessus le balcon. Bon, maintenant que je le formule de cette manière ça sonne assez fun… peut-être que j’étais juste prisonnier de mes attentes et pas assez ouvert.

Sur un autre sujet, quel est ton avis sur la musique traditionnelle ? (de ta région spécifiquement) Sur la phase la plus « folk » de ta musique, ou quand tu fais des acapellas – comme sur des albums tels May ou Summer Wanderer par exemple, on peut avoir l’impression que tu es en train de chanter des chansons traditionnelles séculaires.


J’ai des sentiments partagés à propos de la musique traditionnelle. Il y a cette série de LPs sortis sur Tangent qui sont juste sublimes – parmi ma musique favorite de tous les temps. Y a quelque chose d’incroyablement brut dans ces enregistrements et pour moi ça ne fait qu’ajouter à la magie. Par exemple voici un lien discogs vers les entrées écossaises du label. Mes préférés sont les Gaelic Psalms, le Calum Ruadh, et les Waulking Songs LPs.

Et d’un autre côté, je n’arrive vraiment pas à adhérer au côté très propret d’une si grande partie de la musique traditionnelle – le genre qui est souvent joué par des professionnels. Les mélodies sont souvent super, mais la vibe ne me convient pas.



Puisqu’on en parle, j’ai un album en attente avec un joueur de cornemuse, Donald WG Lindsay, qui sortira un jour – la pandémie s’en est mêlée. Je suis à la guitare électrique et lui à la petite cornemuse, on a enregistré live en une demi-journée au studio Green Door – un studio analogique à Glasgow. C’est 3 compositions originales et une version de 20 minutes d’une obscure mélodie traditionnelle. En vérité, ça ressemble plus à du Velvet Underground qu’à de la musique traditionnelle.

Super nouvelle, je croise les doigts pour que ça sorte bientôt ! Ça m’amène à te demander de quelle manière tu t’y prends pour publier tes albums. Tu as écumé plus d’une douzaine de labels, sans compter le tien propre ; comment tu choisis sur quel label tel ou tel album va être publié ? Et lesquels gardes-tu pour No Fans ?

C’est assez aléatoire. Il y a un certain type de musique que j’associe à No Fans, je ne peux pas vraiment l’expliquer. Sinon, en fin de compte, j’ai pas mal d’opportunités pour d’autres labels, et il y en a certains sur lesquels je continue de revenir régulièrement. Je connais Bill [Kellum] sur VHF Records depuis les années 90. Il a sorti un certain nombre d’albums très charmants – le No Fans Compendium c’était son idée, il m’a harcelé pour que je le fasse et j’ai fini par accepter. J’ai vraiment bien fait. Avec Richo [Richard Johnson], sur Fourth Dimension, ça remonte encore plus loin. Je viens d’ailleurs de recevoir par la poste, ce matin même, quelques copies d’une tournée qu’on a fait ensemble. J’ai un autre album qui va sortir sur O Genesis, un duo avec Daniel O’Sullivan. Ces derniers temps, ce qui m’importe concernant les labels c’est d’avoir une vraie relation.



Content de voir que le flot d’albums collaboratifs n’est pas prêt de se tarir. J’ai une dernière question avant qu’on arrive à la deuxième et dernière partie de cet échange, et c’est une question qui peut ne pas t’intéresser. C’est à propos de la reconnaissance du public. Comme je te l’ai dit quand je t’ai contacté la première fois, j’ai passé de nombreuses années à ne connaître ton travail que par le prisme d’un seul album, Sapphie. D’après ce que j’ai pu constater en trainant sur les sites et forums musicaux, ça a aussi l’air d’être le cas de pas mal de gens. Et quand ils en connaissent un peu plus, bien souvent c’est au travers de tes sorties sur Jagjaguwar, ce qui on l’a vu ne constitue qu’une partie infime de ta discographie. Est-ce que tu te soucie de la manière dont ton travail est reconnu – et apprécié – par le public ? Est-ce que « avoir des fans » est important pour toi ?

Je suis partagé. C’est super qu’un album comme Sapphie puisse vraiment toucher certaines personnes. Mais capitaliser dessus ne me motive pas. À plusieurs moments de ma vie j’aurais pu décider que j’avais un style défini et creuser cette veine, et alors peut-être me « faire un public », je sais pas. Peut-être que ce que je fais ne pourrait jamais être vraiment populaire, en soi. Je suis bien trop éparpillé de toute manière. Et je ne suis pas sûr d’avoir la personnalité du gars qui se met en évidence pour être plus connu. Mon sentiment est que la vie est complexe et que dans le grand ordre des choses, la reconnaissance populaire n’est pas vraiment importante. No Fans était une affirmation autant qu’une constatation à ses débuts, je sortais d’une décennie d’indifférence envers ma musique. Et même si aujourd’hui j’ai sans doute quelques fans, je pense que ma position par défaut est la croyance que tout ce que je fais présentera au mieux un intérêt très périphérique pour la plupart des auditeurs.

En me demandant pourquoi j’ai pris si longtemps avant de tenter autre chose que Sapphie dans ta discographie, je me suis dit qu’une chose déterminante était que je ne savais pas par quoi commencer, tout bêtement. Faire face à plus de 100 albums sans aucune espèce de guide, ou quelqu’un qui saurait me pointer dans une certaine direction, les premiers pas ont de quoi être intimidant. J’ai fini par atterrir sur cet article qui m’a aidé à découvrir certains de tes premiers essais. Donc je me suis dit que ce serait une bonne idée de te laisser parler à propos de certains de tes travaux les plus récents (de 2011 à 2020). Peut-être que ça encouragera certains curieux de XSilence (ou d’ailleurs) à tenter l’aventure. J’ai sélectionné une poignée d’albums avec lesquels j’ai fortement résonné, on va les présenter dans l’ordre chronologique.

Le premier serait Atlas of Hearts (2011, Apollolaan), un album de fingerpicking très hypnotique et riche en couches superposées et décalées, avec une touche psychédélique. Qu’est-ce que tu peux nous dire à propos de celui-là ?




Ooh, choix intéressant, je l’avais oublié. C’était assez soft du point de vue conceptuel, je me suis contenté de m’asseoir avec une guitare acoustique en essayant de jouer ce qui venait. Une partie a été faite sur un magnéto à bobine, une autre sur un ordinateur. L’effet delay qu’on entend dans la plupart des pistes est une prise bobine dupliquée et désynchronisée à plusieurs reprises sur l’ordinateur. Le résultat final vient d’un montage de plusieurs sessions différentes.

Oui c’est un de ces albums qui sonne très « édité », avec des couches sur des couches et des interactions dynamiques entre les différentes pistes. J’en profite pour te demander rapidement à quel moment est-ce que tu t’es mis à utiliser des ordinateurs ?

Probablement autour du début des années 2000. À mon sens ce sont des magnétophones glorifiés, avec des outils qui simplifient le montage.

L’album suivant serait Core to the Brave (2012, Root Strata), bien plus noisy celui-ci, et il s’agit aussi de l’un de tes disques les plus « rock », du moins dans le son. Même si je n’irais pas jusqu’à dire qu’il est facile d'accès !



J’ai une affection toute particulière pour celui-là. Je l’ai enregistré sur un magnéto 4-pistes. C’était vaguement un album metal, avec ce que j’imaginais être des riffs. Je pense qu’ils étaient générés d’une manière aléatoire – en prenant un générateur aléatoire pour déterminer quelles frettes je dois utiliser. De toute évidence je suis un piètre imitateur et je me suis perdu dans mes tentatives de les jouer correctement. J’ai écrit des paroles dans un style metal en découpant des paroles existantes, puis j’ai essayé d’inverser le vocabulaire, de telle sorte qu’au lieu de chanter à propos de la mort je chantais à propos de la vie, par exemple. Au cours de l’enregistrement j’ai pété une pédale à effets que j’aimais beaucoup et qui s’appelle une « sonic alienator », elle me manque. La pochette est une peinture que mon fils a fait en maternelle à la même époque. Il l’a appelée Road. Ça faisait marrer l’instituteur qui la trouvait super dark.

Waouh super fun ce concept ! C’est pour ça que ta voix sonne si contemplative et apaisée au milieu de ce torrent bruitiste et bizarre, tu as transformé la mort en vie.

Le prochain album dont j’aimerais que tu nous parles est Red Alphabet in the Snow (2014, Preserved Sound), qui présente deux longues compositions et des arrangements expansifs avec (encore une fois des couches de son. Un disque très duveteux à mes oreilles, avec une forme très douce de psychédélisme.




J’étais programmé dans un festival à Cracovie, organisé par Richo de Fourth Dimension et Hayden, qui dirige Preserved Sound. Ils vivent dans le même immeuble, avec Richo juste au-dessus de Hayden. J’étais en ville pour quelques jours, et un jour que je traînais du côté de chez Richo, Hayden a apporté son laptop et un microphone, et je me suis mis à jouer des improvisations de guitare acoustique devant un public réduit. Ça a été enregistré, et ces enregistrements ont formé la base de l’album. Une fois rentré à Glasgow j’ai overdubé tous les instruments à corde que j’avais à ma disposition – c’est comme ça que ça s’est terminé avec une telle densité de son. La pochette est une photo prise en double exposition à Cracovie avec mon appareil Holga. On approchait de Noël à l’époque et le marché regorgeait d’une merveilleuse atmosphère festive – ce sont ainsi ces lumières de Noël qu’on peut voir sur la photo.

Encore une belle histoire, merci d'avoir parlé de la pochette que je trouve captivante. Tu as l’air d’avoir tant d’instruments chez toi, ça doit être un sacré spectacle !

L’album suivant sera The Rest Is Scenery (2016, Glass Redux), qui a aussi un concept intéressant, retour aux sources (avec des potes). Je serais aussi curieux d’en savoir plus sur la pochette et ses coordonnées ésotériques…




Je me suis fixé comme objectif de faire des chansons avec un seul accord à chaque fois. Une chanson pour chacune des 12 frettes de la guitare. Ainsi la première chanson est en Mi mineur, la seconde en Fa mineur, puis Fa# mineur… et ainsi de suite jusqu’au Mi mineur de la douzième frette. C’était fort en concept, mais en même temps j’ai tendance à aimer les choses simples – et ce sont des chansons que j’aurais pu jouer au moment où j’ai commencé la guitare. D’ailleurs quand j’avais 11 ou 12 ans, j’étai dans un groupe avec Pete Aves. Nos chemins ont divergé depuis, mais on s’est rapproché au moment de cet album, et du coup il est dessus. J’ai toujours senti qu’il était bien meilleur que moi techniquement, et il s’avère que dans l’intervalle il était devenu un musicien de studio, travaillant notamment avec Lee Hazelwood. Ce qui est assez incroyable !

Quant à la pochette… mon père était géophysicien et l’écriture sur la pochette provient de feuilles de projections qu’il utilisait – probablement pour des cours. Tout ça est superposé sur une photo pris en exposition multiple prise à Berlin.

Simple mais très efficace, et émouvant, un de mes favoris. Un bon rappel que parfois « less is more ».

Maintenant, passons en revue certains de tes travaux les plus récents. Parlons d’un album qui a reçu un certain plébiscite et qui t’a peut-être permis de dégoter quelques nouveaux fans ! En tout cas c’est celui qui a motivé ma découverte de ta discographie : ton album collaboratif avec Raül Refree, All Hands Around the Moment (2019, Soft Abuse).




On m’a demandé d’être en première partie pour une petite tournée de Lee Ranaldo en Grande Bretagne. Son groupe incluait Raül à la guitare. La première nuit j’ai fait mon concert solo, la suivante Raül m’a rejoint pour une chanson. À la fin de la semaine on jouait en duo. Entre nous deux ça a fait tilt, et on est resté en contact en entretenant l’idée d’enregistrer quelque chose ensemble. Raül à la base est un producteur flamenco, après sa venue à Glasgow, où on a posé les bases à la guitare, on est parti à Barcelone et on a transformé tout ça en un album dans son studio. Les guitares ont été couchées sur bande et la longueur des pistes a été déterminée par la longueur des bobines sur lesquelles on enregistrait.

Sur cet album les chansons donnent l’impression qu’elles pourraient ne jamais s’arrêter. Maintenant je sais qu’elles auraient aussi bien pu continuer… Ton premier album de 2020 était Fanfares (qui ne tarderait pas à être renommé Fanfares (Schwebung Master)), une étonnante suite instrumentale pour synthétiseurs.



Pour moi, c’est presque un album de New Age. Les textures sont douces – principalement un Casio bon marché filtré au travers d’un harmonisateur Eventide. En fait, le Casio est du même modèle que celui que j’avais quand j’ai commencé à enregistrer avec Simon Wickham-Smith ; j’avais fini par m’en débarrasser – décision con – pour finalement le racheter sur eBay pour environ 10£. La boîte à rythme est sur un réglage hip-hop d’une RY9 – que j’ai acheté à cause de son nom (puisqu’on partage les mêmes initiales), c’était encore une affaire sur eBay. Mais la raison pour laquelle l’album sonne si bien, c’est que Stephan Mathieu (qui a déjà fait du mastering pour moi) l’a entendu un jour (rare!) où il n’avait pas d’autres jobs de mastering, juste après que je l’ai mis sur Bandcamp, et l’a aussitôt téléchargé et masterisé. Sans que je lui demande quoi que ce soit. Donc il y a quelques personnes qui ont une version brute, non masterisée, qu’ils ont téléchargé dans l’intervalle, avant que je la remplace par celle de Stephan… C’est quoi l’équivalent digital d’un premier pressage rare ?

Oui je suis l’un d’entre eux, un remaster day-one on ne voit pas pas ça tous les jours ! Je sens aussi ce feeling New Age, c’est un album qui a adouci certains de mes jours de confinement. Tout comme Vistas, dont j’avais prévu de parler avec toi dans cette rubrique – mais on l’a déjà évoqué dans la première partie de l’interview. Je passerai donc directement à ce très mystérieux quatuor d’EPs que tu as égrainés le long du mois de Mai. Ils se nomment respectivement Five Songs, Four Verses, Six Texts et Five States et sont encore une autoproduction chez No Fans. D’un EP à l’autre les voix gardent la même structure, avec du chant aigu sans parole mélangé à des syllabes parlées, en revanche l’instrumentation change à chaque EP.



Tous ces EPs utilisent un texte passé dans un convertisseur vocal. C’est censé avoir un accent Ecossais, ce qui m’a plu ! Et donc, ça lit des textes que j’ai écrits et qui sont digitalement étirés, c’est ce qui donne cet écho étrange. Chaque EP a son propre monde sonore –des guitares enregistrées sur des cassettes de très mauvaise qualité, un Casio mis en écho avec beaucoup de feedback… Ils m’ont tous frappé par leur étrangeté pendant que je les élaborais, ce qui est un bon signe – j’aime être rendu perplexe par ma musique.

Je m’attends effectivement à être perplexe quand j’aborde un de tes albums pour la première fois – je dirais que ça fait partie du fun. Pour le dernier spot je me suis dit que je te laisserais choisir un projet, n’importe lequel, album, EP, chanson, vieux ou récent… Peu importe !

Ce qui m’intéresse le plus, c’est toujours ce sur quoi je suis en train de travailler. J’aime quand les choses bougent vite. La semaine dernière j’ai fait un album, Metal River, cette semaine Fourth Dimension l’a envoyé au pressage. Je voulais faire quelque chose de neuf pour ce label depuis longtemps maintenant, mais aucun de mes travaux récents ne me donnait le sentiment de convenir. Et puis la semaine dernière Richo a dit « pourquoi pas un album ‘noise’ ? » et j’ai réalisé que j’étais déjà en train d’en faire un. De toute évidence ce n’est pas vraiment ‘noise’, c’est moi avec certaines textures. La face A est un enregistrement de ring modulator – où je joue du shakuhachi, du hautbois et je chante tout en contrôlant le ring modulator avec une pédale. La face B est un truc qui à la base me laissait perplexe depuis un bon moment. Quand Richo a dit ‘noise’, j’ai tout de suite réalisé que ça nécessitait un mixage différent, quelque chose de plus concentré, et ça a tout de suite marché. Cette musique me semble neuve et sauvage… [ndlr: en anglais ça rend mieux, ma traduction fait un peu slogan pour parfum vous m’excuserez]. La pochette vient d’une photo que j’ai prise quelques années plus tôt en périphérie de Varsovie – et comme tant de mes pochettes c’est une photo Holga à exposition multiple.

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Finir l’interview sur un teasing pour ton prochain album… bien joué. Quelque chose de neuf et sauvage [ndrl: … ] hein, ça donne envie une fois de plus. Peut-être que Metal River sera sorti d’ici à ce que je finisse de traduire nos échanges, on verra ! En tout cas, merci d’avoir pris le temps de tailler le bout de gras, c’était une bien longue liste de questions. Ce fut un plaisir !

Un plaisir de même Martin, merci et à bientôt.




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