Erik Truffaz
Poitiers [Confort Moderne] - mercredi 15 avril 2009 |
Les bras devant le long du corps. Ses deux mains serrent sa trompette. Il se tient là devant moi. Je le dévisage. Lui ne me voit certainement pas. Les yeux fermés. Concentré et envahi par les nappes qui investissent le Confort Moderne. La soirée a très bien commencé avec Chapelier Fou alors que la pièce maîtresse n'a pas été encore servie : Erik Truffaz présente Mexico avec Murcof (avec qui il a enregistré le disque) et Talvin Singh. Que demander de mieux que la meilleure part de la trilogie Rendez-Vous sorti l'été dernier, qui plus est dans une configuration peu commune. On a affaire à un trio cosmopolite. Trois origines différentes, trois domaines musicaux distincts, trois attitudes sur scène (Truffaz debout, Murcof assis à sa table et Singh en tailleur). Mais il y a une chose indéniable qui les rassemble : leur penchant pour l'ambiant et pour croiser la musique dite "traditionnelle" avec des bribes d'électro évanescentes.
Les trois hommes débutent donc le set en jouant l'intégralité du volet Mexico avec une fidélité irréprochable. On est loin des mariachis, du soleil et de l'exotisme du pays mais plutôt dans une ville en pleine mutation, avec les craintes et les rumeurs qu'on lui connaît. Il a fallu pour cela que le mexicain du combo fasse retentir ses déflagrations lentes et sinueuses qui ont de quoi proscrire le passage du moindre rayon lumineux. L'ambiance est sombre, lugubre, glauque. Seule une âme peut y vivre en fait, danser dans ce brouillard et se jouer des étreintes industrielles empoisonnées qui ont jeté leur dévolu sur Poitiers. Erik Truffaz est cette âme, avec pour destrier une trompette éclatante. Il diffuse des complaintes d'un espoir sans fin et d'une beauté sans nom. Les idées s'enchaînent, les sentiments se bousculent. Cette lutte entre ombre et lumière est à la fois dense et légère. Froide et chargée d'espérance. Stoïque et épique en particulier sur "Good News From The Desert" où le cuivre montre l'étendue de son mimétisme en prenant la verve d'une guitare psychédélique. L'envergure de la pièce est magnifique. On se situe à la fois à la croisée des mondes et au terminus de l'humanité. On est perdu. Mais en compagnie de musiciens brillants esthètes. "Avant L'aube" arrive déjà dans son mouvement pendulaire et l'obscurité se dissipe enfin peu à peu. Fernando ‘Murcof' Corona contrôle le temps, Talvin Singh déverse avec constance ses notes de tablas additionnelles qui se joignent à la cause tandis que Truffaz lâche son dernier souffle. Le premier acte du set se termine dans une exaltation et un étourdissement total.
Le suisse fait les présentations pendant que Sir Talvin accorde ses tablas. La chose n'est pas aisée, ce genre de percussions est capricieux. Après quelques coups de marteau le problème est réglé. Le trio peut reprendre. Et c'est dans une connivence télépathique semblable qu'ils nous obnubilent par les mêmes slaves médullaires toujours plus parfaites les unes après les autres. Erik Truffaz est le plus âgé et pourtant le plus avide de psyché et d'électro. Ce n'est pas pour rien qu'on lui attribut le début du courant électro jazz. Il contrôle parfaitement chacun des sons. Il parvient aussi bien à chanter à travers l'embouchure de son instrument qu'à jouer avec son micro clippé et sa panoplie d'échos dantesques. Murcof se dépatouille avec des dizaines de pistes préenregistrées, focalisé sur son écran à transmettre autant de vie que possible à partir de sa machine. La seconde partie du concert est ainsi constituée de reprises des deux architectes de Mexico ce qui rend alors la soirée appréciable dans un autre sens. On peut en définitive juger du bienfait de cette rencontre notamment en quoi, en plus d'avoir enfanté le projet cité précédemment, elle a conduit une relecture intégrale d'une partie des œuvres des deux bonhommes. Après est-ce de l'improvisation ou un travail intensif en amont, je ne sais pas, cependant le résultat reste stupéfiant. En tout cas une chose est sûre c'est que l'on peut difficilement parler de jazz tant l'atmosphère vaporeuse électronique inquiétante prédomine. On est à des kilomètres de ce que fait d'habitude le trompettiste bien que son travail soit déjà très varié. De plus, on se rend compte après coup que les compositions de Murcof présentent souvent une petite place pour une nouvelle piste qui ne pouvait pas être mieux occupée que par les allocutions de Truffaz qui colle à chaque fois aux ambiances dépouillées et dépeuplées du mexicain. Talvin Singh, quant à lui, endosse jusqu'au bout la musique de ses racines sans additif (on le connaît beaucoup plus pour sa part d'électro), agrémentant les morceaux, déjà très fins, d'une subtilité supplémentaire. On s'entichera de ces percussions inhabituelles aux sonorités rondes et délicates en particulier sur un solo effréné époustouflant. C'est le troisième homme qu'il fallait.
Le concert aura été électrique jusqu'au bout non pas par la force des choses mais par la rare tension décharnée qui y résidait. Pris entre la béatitude et l'extase d'assister à une telle prestation, je me suis mis à mon tour à fermer les yeux pour visualiser les paysages dépeints par le trio. Des bâtisses de métal rouillées abandonnés au beau milieu d'un désert fiévreux animé par les ombres de ces trois compagnons de route invoquant la tristesse du monde qui les rassemble malgré leurs différences. "Big Wheel" clôture finalement le merveilleux set chargé en émotions, intense jusqu'au bout des ongles. Un triomphe.
Les trois hommes débutent donc le set en jouant l'intégralité du volet Mexico avec une fidélité irréprochable. On est loin des mariachis, du soleil et de l'exotisme du pays mais plutôt dans une ville en pleine mutation, avec les craintes et les rumeurs qu'on lui connaît. Il a fallu pour cela que le mexicain du combo fasse retentir ses déflagrations lentes et sinueuses qui ont de quoi proscrire le passage du moindre rayon lumineux. L'ambiance est sombre, lugubre, glauque. Seule une âme peut y vivre en fait, danser dans ce brouillard et se jouer des étreintes industrielles empoisonnées qui ont jeté leur dévolu sur Poitiers. Erik Truffaz est cette âme, avec pour destrier une trompette éclatante. Il diffuse des complaintes d'un espoir sans fin et d'une beauté sans nom. Les idées s'enchaînent, les sentiments se bousculent. Cette lutte entre ombre et lumière est à la fois dense et légère. Froide et chargée d'espérance. Stoïque et épique en particulier sur "Good News From The Desert" où le cuivre montre l'étendue de son mimétisme en prenant la verve d'une guitare psychédélique. L'envergure de la pièce est magnifique. On se situe à la fois à la croisée des mondes et au terminus de l'humanité. On est perdu. Mais en compagnie de musiciens brillants esthètes. "Avant L'aube" arrive déjà dans son mouvement pendulaire et l'obscurité se dissipe enfin peu à peu. Fernando ‘Murcof' Corona contrôle le temps, Talvin Singh déverse avec constance ses notes de tablas additionnelles qui se joignent à la cause tandis que Truffaz lâche son dernier souffle. Le premier acte du set se termine dans une exaltation et un étourdissement total.
Le suisse fait les présentations pendant que Sir Talvin accorde ses tablas. La chose n'est pas aisée, ce genre de percussions est capricieux. Après quelques coups de marteau le problème est réglé. Le trio peut reprendre. Et c'est dans une connivence télépathique semblable qu'ils nous obnubilent par les mêmes slaves médullaires toujours plus parfaites les unes après les autres. Erik Truffaz est le plus âgé et pourtant le plus avide de psyché et d'électro. Ce n'est pas pour rien qu'on lui attribut le début du courant électro jazz. Il contrôle parfaitement chacun des sons. Il parvient aussi bien à chanter à travers l'embouchure de son instrument qu'à jouer avec son micro clippé et sa panoplie d'échos dantesques. Murcof se dépatouille avec des dizaines de pistes préenregistrées, focalisé sur son écran à transmettre autant de vie que possible à partir de sa machine. La seconde partie du concert est ainsi constituée de reprises des deux architectes de Mexico ce qui rend alors la soirée appréciable dans un autre sens. On peut en définitive juger du bienfait de cette rencontre notamment en quoi, en plus d'avoir enfanté le projet cité précédemment, elle a conduit une relecture intégrale d'une partie des œuvres des deux bonhommes. Après est-ce de l'improvisation ou un travail intensif en amont, je ne sais pas, cependant le résultat reste stupéfiant. En tout cas une chose est sûre c'est que l'on peut difficilement parler de jazz tant l'atmosphère vaporeuse électronique inquiétante prédomine. On est à des kilomètres de ce que fait d'habitude le trompettiste bien que son travail soit déjà très varié. De plus, on se rend compte après coup que les compositions de Murcof présentent souvent une petite place pour une nouvelle piste qui ne pouvait pas être mieux occupée que par les allocutions de Truffaz qui colle à chaque fois aux ambiances dépouillées et dépeuplées du mexicain. Talvin Singh, quant à lui, endosse jusqu'au bout la musique de ses racines sans additif (on le connaît beaucoup plus pour sa part d'électro), agrémentant les morceaux, déjà très fins, d'une subtilité supplémentaire. On s'entichera de ces percussions inhabituelles aux sonorités rondes et délicates en particulier sur un solo effréné époustouflant. C'est le troisième homme qu'il fallait.
Le concert aura été électrique jusqu'au bout non pas par la force des choses mais par la rare tension décharnée qui y résidait. Pris entre la béatitude et l'extase d'assister à une telle prestation, je me suis mis à mon tour à fermer les yeux pour visualiser les paysages dépeints par le trio. Des bâtisses de métal rouillées abandonnés au beau milieu d'un désert fiévreux animé par les ombres de ces trois compagnons de route invoquant la tristesse du monde qui les rassemble malgré leurs différences. "Big Wheel" clôture finalement le merveilleux set chargé en émotions, intense jusqu'au bout des ongles. Un triomphe.
Excellent ! 18/20 | par TiComo La Fuera |
En ligne
470 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages