Le Guess Who?
Utrecht - Pays-Bas [Le Guess Who Festival (Tivoli)] - vendredi 11 novembre 2016 |
VENDREDI
Aujourd'hui c'est Savages qui régale. Je ne suis vraiment pas fan de ces nanas et leur prog ne m'inspire pas des masses. Cependant le Guess Who est bien le lieu par excellence où les bonnes surprises peuvent surgir de n'importe où et emporter l'adhésion sans prévenir. Mais ce vendredi c'est aussi l'occasion de découvrir une nouveauté du festival : un programme de films. Chaque groupe a pu choisir un film de son choix à nous montrer dans l'après-midi. Et si Wilco nous a proposé 30 minutes d'une histoire culinaire bobo romantique tout à fait plate et sans intérêt, en revanche Savages nous révèle en avant-première le documentaire Voice of the Eagle – The Enigma of Robbie Basho (financé par Kickstarter) qui est en préparation depuis des années, sur une des figures les plus passionnantes et mystérieuses de la guitare acoustique américaine. J'en ressors presque trop ému pour retourner illico au Tivoli assister à ma plâtrée de concerts du jour. Presque.
Mario Batkovic (curated by Savages) : Les minimalistes sont de retour ! Mario Batkovic est présenté comme un Colin Stetson à l'accordéon ; un musicien qui repousse les limites de son instrument. Pour l'accueillir : la Janskerk, église rénovée qui accueille chaque année la frange la moins sataniste de la prog. Et on va pas se mentir, voir un artiste jouer dans une église ça présente toujours un cachet certain, même si certains ont pu en faire les frais l'année dernière (Julia Holter, dont l'acoustique de l'église toute en écho jouait contre elle). En l'occurrence, le lieu était idéal pour Mario, qui emplit amplement l'atmosphère dès les premières notes, graves, qu'il soutire à son accordéon. Impressionnant tant techniquement qu'en termes de composition, Mario surfe sur un spectre oscillant entre le très mélodique évoquant Philip Glass (le deuxième morceau en particulier hurlait "Koyaanisqatsi") et des morceaux plus dissonants qui s'occupent d'explorer les possibilités de l'accordéon, qui Mario est capable de faire apparaître sous les traits d'un monstre des profondeurs qui remue puissamment. Concert excellent sur tous les point, j'en ressors à la fois fébrile devant la promesse d'un futur album sur le label de Geoff Barrow et anxieux à l'idée de retrouver prochainement les bluettes des accordéons ordinaires du métro parisien.
Jherek Bischoff : Aujourd'hui, la confiance est morte. Notre pire ennemi cette année fut celui qu'on croyait notre meilleur allié ; j'ai nommé l'enfant de salaud qui écrit les descriptions d'artiste sur le programme du festival. Mais si c'est surtout samedi soir qui verra se dévoiler l'infamie dans toute son ampleur, notre ami Jherek Bischoff en constitue un redoutable hors-d'oeuvre. Le programme promettait à son égard une "immersion dans le son et la texture" de la "solitude au ralenti" de la part d'un mec ayant collaboré avec David Byrne, le Kronos Quartet, Neil Gaiman... Et ce qu'on a eu ce sont des compositions pour quartet à cordes d'une platitude absolue bourrées de grosses ficelles bien clichées comme il faut. Mais que ce soit inintéressant passe encore. En revanche par dessus le marché monsieur Bischoff a fait preuve d'une attitude qui me l'a rendu cordialement détestable. En vrac ; une fausse camaraderie, des airs de guignol, des parenthèses narcissiques, un dédain à peine voilé de ses compagnons de scène, et cerise sur le gâteau la déclaration avec une fierté déplacée de son statut de vegan. Le plus pur produit de l'école d'Art New-Yorkaise avec des cheveux gominés et un noeud-pap ras-la-glotte. Rejet épidermique de ce monsieur donc, qui nous jouerai en guise de "la composition la plus terrifiante que j'ai jamais écrite" des arrangements médiocres de trucs et astuces déjà vus. Le climax du concert étant ce spectateur imbibé (mais lucide, la preuve) qui coupera une anecdote à rallonge de Bischoff par un "Shut up and play !" qui restera dans les annales.
King Creosote : Pour enlever ce mauvais goût sur la langue qui ne nous quitte plus depuis notre départ précipité de chez le vegan en smoking, direction la Janskerk pour expier nos péchés auditifs. King Creosote nous y accueille et leur performance sera comme un baume sur notre confiance meurtrie. Mené par l'écossais ultraprolifique Kenny Anderson, gringalet immédiatement sympathique, le groupe délivre une folk simple, nostalgique, romantique, sobrement arrangée au sein de laquelle le doux accent chantant de Kenny lui d'une lumière douce. Mais plus que la musique elle-même, tout de même loin d'être inoubliable, c'est le personnage de sieur Creosote qui marquera, tant il est aussi adorable que Bischoff est détestable. Animé par une fouce autodérision, il profite de chaque interlude pour y aller de son anecdote. À retenir principalement : son oubli des accords d'un morceau (alors que, soyons honnêtes, c'est toujours les mêmes) qu'il transformera habilement en un one-man show hilarant ; on retiendra aussi ce morceau ("Betelgeuse"), où conscient de son public assez ignorant de sa discographie, il nous demanda de prétendre qu'il est une star se préparant à jouer son tube planétaire, la Janskerk s'étant transformé en stade l'espace d'une fausse standing ovation jouissive. King Creosote n'était pas le plus brillant des artistes du festival, j'étais sans doute un des rares à connaître un tant soit peu ses chansons, mais je suis prêt à parié qu'il a remporté l'adhésion d'une bonne partie de son public rien qu'avec son charme.
The Pyramids : Pour la première aventure jazz du festival c'est à la RASA, salle inconnue à mon bataillon, non loin de la Janskerk, que ça se passera. Mi balcon mi fosse, programmation afrobeat en attendant les Pyramids, groupe d'afro-jazz formé dans les 70's à Amsterdam. Lorsqu'ils débarquent finalement, c'est en fanfare ! Le concert commence dans le public, le groupe traverse la foule avec didgeridoo, tambourin, et chants africains... un rituel bon enfant bien senti qui rend la salle acquise à leur cause avant même que les choses sérieuses ne commencent. Dommage que la suite des festivités ne m'aient pas autant convenu. Une fois démarré, le concert réveillera les vieux griefs que je conserve encore aujourd'hui envers certaines pratiques dans le jazz (en concert). En l'occurrence cette manie d'enchainer les solis poliment, ce qui transforme des morceaux aux thèmes souvent fort chouettes en des jams interminables (et pas super inspirées ici) qui finissent par me perdre en route. De plus le groupe aura mis du temps à se mettre en place, ça ne jouait pas vraiment ensemble dès le départ (surtout ce guitariste qui était toujours perdu dans ses pédales). J'en retiendrai surtout des costumes de scène méga flashy et... l'intro.
Tim Hecker (curated by Savages) : On le savait, que le programme de la journée serait en dessous des autres jours. Mais il y en a un qu'on attendait comme le messie : Tim Hecker (qui nous verra pénétrer dans la Ronda pour la première fois, vaste salle de concert noire avec grande fosse, balcon massif et gros gradins). En studio ses deux derniers albums m'avaient laissé froid, mais on m'avait vanté maintes fois une expérience live complètement différente de ceux-ci, viscérale et transcendantale. 15 minutes avant le début du concert, la salle est déjà envahie de fumée ; on ne verra plus à 10 mètres devant nous. La Ronda est ensuite plongée dans le noir ; ne subsiste qu'une ligne de loupiotes rondes qui longent le bord de la scène, brillent dans la fumée et pointent vers l'horizon. Dans ces conditions nous ne voyons plus Hecker. De toute manière ce qui nous attend ne nous laissera pas l'occasion de méditer sur des détails aussi triviaux que le minois de l'artiste. Alors qu'un drone point au loin, le premier élément qui nous saisit sont ces basses monstrueuses qui nous clouent au sol. Littéralement ; je finis par m'allonger par terre pour regarder le plafond pendant une demi-heure, pas loin d'avoir la bave aux lèvres. La musique elle-même serait dure à décrire... il s'agit là d'ambient, de couches de son qui se superposent et s'agencent avec, un ambient écrasant (et pas seulement par son volume sonore) mais qui, une fois accepté, s'apparente à un véritable voyage onirique. L'alliance du son et de la mise en scène – sobre mais amplement suffisante – m'a foutu dans un état d'hébétude magique. SPOILERS : le meilleur concert du festival.
Container (curated by Savages) : À peine remis de Tim Hecker, on part en Pandora se désengourdir sur de la bonne techno industrielle bien agressive. Riche, la musique de Container n'a pas de temps à perdre et enchaine les bangers jusqu'à ce que le corps finisse par lâcher. Il est temps de rentrer reposer nos membres douloureux. Vendredi aura été certes inégal, mais l'enchainement Hecker + Container restera comme le climax de cette édition 2016.
Aujourd'hui c'est Savages qui régale. Je ne suis vraiment pas fan de ces nanas et leur prog ne m'inspire pas des masses. Cependant le Guess Who est bien le lieu par excellence où les bonnes surprises peuvent surgir de n'importe où et emporter l'adhésion sans prévenir. Mais ce vendredi c'est aussi l'occasion de découvrir une nouveauté du festival : un programme de films. Chaque groupe a pu choisir un film de son choix à nous montrer dans l'après-midi. Et si Wilco nous a proposé 30 minutes d'une histoire culinaire bobo romantique tout à fait plate et sans intérêt, en revanche Savages nous révèle en avant-première le documentaire Voice of the Eagle – The Enigma of Robbie Basho (financé par Kickstarter) qui est en préparation depuis des années, sur une des figures les plus passionnantes et mystérieuses de la guitare acoustique américaine. J'en ressors presque trop ému pour retourner illico au Tivoli assister à ma plâtrée de concerts du jour. Presque.
Mario Batkovic (curated by Savages) : Les minimalistes sont de retour ! Mario Batkovic est présenté comme un Colin Stetson à l'accordéon ; un musicien qui repousse les limites de son instrument. Pour l'accueillir : la Janskerk, église rénovée qui accueille chaque année la frange la moins sataniste de la prog. Et on va pas se mentir, voir un artiste jouer dans une église ça présente toujours un cachet certain, même si certains ont pu en faire les frais l'année dernière (Julia Holter, dont l'acoustique de l'église toute en écho jouait contre elle). En l'occurrence, le lieu était idéal pour Mario, qui emplit amplement l'atmosphère dès les premières notes, graves, qu'il soutire à son accordéon. Impressionnant tant techniquement qu'en termes de composition, Mario surfe sur un spectre oscillant entre le très mélodique évoquant Philip Glass (le deuxième morceau en particulier hurlait "Koyaanisqatsi") et des morceaux plus dissonants qui s'occupent d'explorer les possibilités de l'accordéon, qui Mario est capable de faire apparaître sous les traits d'un monstre des profondeurs qui remue puissamment. Concert excellent sur tous les point, j'en ressors à la fois fébrile devant la promesse d'un futur album sur le label de Geoff Barrow et anxieux à l'idée de retrouver prochainement les bluettes des accordéons ordinaires du métro parisien.
Jherek Bischoff : Aujourd'hui, la confiance est morte. Notre pire ennemi cette année fut celui qu'on croyait notre meilleur allié ; j'ai nommé l'enfant de salaud qui écrit les descriptions d'artiste sur le programme du festival. Mais si c'est surtout samedi soir qui verra se dévoiler l'infamie dans toute son ampleur, notre ami Jherek Bischoff en constitue un redoutable hors-d'oeuvre. Le programme promettait à son égard une "immersion dans le son et la texture" de la "solitude au ralenti" de la part d'un mec ayant collaboré avec David Byrne, le Kronos Quartet, Neil Gaiman... Et ce qu'on a eu ce sont des compositions pour quartet à cordes d'une platitude absolue bourrées de grosses ficelles bien clichées comme il faut. Mais que ce soit inintéressant passe encore. En revanche par dessus le marché monsieur Bischoff a fait preuve d'une attitude qui me l'a rendu cordialement détestable. En vrac ; une fausse camaraderie, des airs de guignol, des parenthèses narcissiques, un dédain à peine voilé de ses compagnons de scène, et cerise sur le gâteau la déclaration avec une fierté déplacée de son statut de vegan. Le plus pur produit de l'école d'Art New-Yorkaise avec des cheveux gominés et un noeud-pap ras-la-glotte. Rejet épidermique de ce monsieur donc, qui nous jouerai en guise de "la composition la plus terrifiante que j'ai jamais écrite" des arrangements médiocres de trucs et astuces déjà vus. Le climax du concert étant ce spectateur imbibé (mais lucide, la preuve) qui coupera une anecdote à rallonge de Bischoff par un "Shut up and play !" qui restera dans les annales.
King Creosote : Pour enlever ce mauvais goût sur la langue qui ne nous quitte plus depuis notre départ précipité de chez le vegan en smoking, direction la Janskerk pour expier nos péchés auditifs. King Creosote nous y accueille et leur performance sera comme un baume sur notre confiance meurtrie. Mené par l'écossais ultraprolifique Kenny Anderson, gringalet immédiatement sympathique, le groupe délivre une folk simple, nostalgique, romantique, sobrement arrangée au sein de laquelle le doux accent chantant de Kenny lui d'une lumière douce. Mais plus que la musique elle-même, tout de même loin d'être inoubliable, c'est le personnage de sieur Creosote qui marquera, tant il est aussi adorable que Bischoff est détestable. Animé par une fouce autodérision, il profite de chaque interlude pour y aller de son anecdote. À retenir principalement : son oubli des accords d'un morceau (alors que, soyons honnêtes, c'est toujours les mêmes) qu'il transformera habilement en un one-man show hilarant ; on retiendra aussi ce morceau ("Betelgeuse"), où conscient de son public assez ignorant de sa discographie, il nous demanda de prétendre qu'il est une star se préparant à jouer son tube planétaire, la Janskerk s'étant transformé en stade l'espace d'une fausse standing ovation jouissive. King Creosote n'était pas le plus brillant des artistes du festival, j'étais sans doute un des rares à connaître un tant soit peu ses chansons, mais je suis prêt à parié qu'il a remporté l'adhésion d'une bonne partie de son public rien qu'avec son charme.
The Pyramids : Pour la première aventure jazz du festival c'est à la RASA, salle inconnue à mon bataillon, non loin de la Janskerk, que ça se passera. Mi balcon mi fosse, programmation afrobeat en attendant les Pyramids, groupe d'afro-jazz formé dans les 70's à Amsterdam. Lorsqu'ils débarquent finalement, c'est en fanfare ! Le concert commence dans le public, le groupe traverse la foule avec didgeridoo, tambourin, et chants africains... un rituel bon enfant bien senti qui rend la salle acquise à leur cause avant même que les choses sérieuses ne commencent. Dommage que la suite des festivités ne m'aient pas autant convenu. Une fois démarré, le concert réveillera les vieux griefs que je conserve encore aujourd'hui envers certaines pratiques dans le jazz (en concert). En l'occurrence cette manie d'enchainer les solis poliment, ce qui transforme des morceaux aux thèmes souvent fort chouettes en des jams interminables (et pas super inspirées ici) qui finissent par me perdre en route. De plus le groupe aura mis du temps à se mettre en place, ça ne jouait pas vraiment ensemble dès le départ (surtout ce guitariste qui était toujours perdu dans ses pédales). J'en retiendrai surtout des costumes de scène méga flashy et... l'intro.
Tim Hecker (curated by Savages) : On le savait, que le programme de la journée serait en dessous des autres jours. Mais il y en a un qu'on attendait comme le messie : Tim Hecker (qui nous verra pénétrer dans la Ronda pour la première fois, vaste salle de concert noire avec grande fosse, balcon massif et gros gradins). En studio ses deux derniers albums m'avaient laissé froid, mais on m'avait vanté maintes fois une expérience live complètement différente de ceux-ci, viscérale et transcendantale. 15 minutes avant le début du concert, la salle est déjà envahie de fumée ; on ne verra plus à 10 mètres devant nous. La Ronda est ensuite plongée dans le noir ; ne subsiste qu'une ligne de loupiotes rondes qui longent le bord de la scène, brillent dans la fumée et pointent vers l'horizon. Dans ces conditions nous ne voyons plus Hecker. De toute manière ce qui nous attend ne nous laissera pas l'occasion de méditer sur des détails aussi triviaux que le minois de l'artiste. Alors qu'un drone point au loin, le premier élément qui nous saisit sont ces basses monstrueuses qui nous clouent au sol. Littéralement ; je finis par m'allonger par terre pour regarder le plafond pendant une demi-heure, pas loin d'avoir la bave aux lèvres. La musique elle-même serait dure à décrire... il s'agit là d'ambient, de couches de son qui se superposent et s'agencent avec, un ambient écrasant (et pas seulement par son volume sonore) mais qui, une fois accepté, s'apparente à un véritable voyage onirique. L'alliance du son et de la mise en scène – sobre mais amplement suffisante – m'a foutu dans un état d'hébétude magique. SPOILERS : le meilleur concert du festival.
Container (curated by Savages) : À peine remis de Tim Hecker, on part en Pandora se désengourdir sur de la bonne techno industrielle bien agressive. Riche, la musique de Container n'a pas de temps à perdre et enchaine les bangers jusqu'à ce que le corps finisse par lâcher. Il est temps de rentrer reposer nos membres douloureux. Vendredi aura été certes inégal, mais l'enchainement Hecker + Container restera comme le climax de cette édition 2016.
Très bon 16/20 | par X_Wazoo |
Sur la photo : Mario Batkovic à la Janskerk (photo par Tim van Veen)
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