Fiery Furnaces

Widow City

Widow City

 Label :     Thrill Jockey 
 Sortie :    mardi 09 octobre 2007 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

Cinquième album (déjà) plus un E.P de dix titres pour les Fiery Furnaces en un peu plus de cinq ans. Il est maintenant clair pour beaucoup de monde qu'ils ne s'arrêteront pas là. Après l'inaccessible Rehearsing My Choir composé avec la grand mère du frère et de la soeur Friedberger, et un "Bitter Tea" aux structures encore improbables, The Fiery Furnaces reviennent pour une déferlante sonore de plus d'une heure (évidemment), complexe (bien sûr) mais plus compréhensible et intelligible que les deux albums précédemment cités.
La grande force du groupe a été d'inventer un monde sans limite avec l'énorme "Blueberry Boat", où expérimentations et mélodies faisaient bon ménage. Widow City nous fait rentrer à nouveau dans un univers complètement inconnu, une ville de femmes solitaires, envoyant des lettres du fin fond du désert égyptien ou se morfondant autour d'une bière régénératrice. L'esprit de Matthew et Eleanor Friedberger n'a résolument pas de limite et le duo profite de cet album pour nous offrir leur oeuvre la plus directe.
Composé principalement de chansons et d'histoires courtes (excepté trois dépassant les six minutes), Widow City se veut tout d'abord la synthèse du savoir faire musical de Matthew (et profitant sur cet album de l'acquisition d'un Chamberlin M1) avec son admiration sans borne pour le rock-opéra et du phrasé hypnotique de sa soeur, contant ses mondes imaginaires sans rien regarder autour d'elle, croisant par là-même un Dylan qu'on imagine être une source d'inspiration inépuisable. Profondément culturel et littéraire, "Widow City" sourit ensuite au Dublin "labyrinthique" de Joyce, aux mythes fondateurs Grecs, ou encore à la pop-culture des années 60, influence jamais reniée vu la nature et l'amour du son proposé depuis plus de cinq ans par le groupe.
Widow City propose enfin le sens de l'agencement, le souci du détail, sans jamais oublier l'humour déjanté des lyrics ("My Egyptian Grammar"), l'aboutissement du concept, les arrangements hallucinants, puis surtout, une certaine accessibilité retrouvée pour tous ceux qui se sont détachés du groupe après Rehearsing My Choir. L'éparpillement qui a pu être certaines fois la caractéristique inhérente aux anciens albums n'a plus lieu d'être ici. Le duo développe les thèmes, assume l'anachronie qui est la sienne, tire toute la substance de la note, va au bout de la démarche conceptuelle sans pour autant se perdre entre l'artisanal et le technologique.

The Fiery Furnaces pondent enfin leur grand disque pop.


Excellent !   18/20
par Reznor


 Moyenne 18.50/20 

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Posté le 10 octobre 2009 à 21 h 59

Une veuve égyptienne raconte son bébé méchant, son mari haineux, ses hydravions, son téléphone long de 25 pieds, ses 22 grammes d'essence, son 103ème rendez-vous sans compter ses 53 culottes et son catalogue du Desert House H-G Box 111111 Alburquerque... Et pour ajouter à l'embrouillamini, elle verse dans l'occultisme qui tâche, expédie son thème astral au Nouveau Mexique, évoque les phases de la lune et visite les esprits. Au milieu de cet entrelacs, le titre ("Widow City"), ainsi que la robe noire ancienne mode que porte Eleanor, nous aiguillent sur le noeud de l'affaire: un meurtre, celui du mari.

"Widow City" raconte bien une histoire, c'est même un opéra-rock, style tant chéri par Matthew. La scène s'ouvre en grande pompe sur le procès de l'assassine (" Nous savions déjà – il n'y a pas de place pour le suspense – que le jury va me faire pendre ") et se clot sur la "Widow City" en question, une prison perdue dans le désert d'où la veuve échange des mots doux via des dromadaires-express (" Si vous saviez comme mes chaînes sont lourdes " dit-elle, las, en guise de rideau). Entre ces deux moments le récit serpente entre produits ménager, escales exotiques, numérologie, sautes d'humeur, langage S.M.S et autre. La musique, omnisciente, épouse les moindres considérations d'une veuve à tiroirs.

Cette veuve, c'est Eleanor elle-même, amoureuse de Led Zeppelin et plus précisément de leur veine arabisante (le "Kashmir"). Matthew, pour lui faire plaisir, aurait concocté la musique dans le noir, sur un piano, tenant d'une main un album de Led Zep. Quant aux paroles, des publicités féminines des années soixante-dix en seraient l'inspiration principale. Tout cela est un gros bluff qui caricature les concept-albums des seventies qui se bataillaient pour devenir le sommet en matière de sophistication. Pour rire, Matthew surenchérit sur la surenchère. Mais il ne s'agit pas de se moquer. Du suranné tel que peut l'être un opéra-rock ampoulé, Matthew fait mousse, comme les collages oniriques de Max Ernst transcendent des illustrations du 19ème. A ceci près que Matthew brode quand même avec du heavy-metal! Mais pas seulement. Dylan, Gainsbourg, les Beatles et Yes s'invitent à la fête et c'est de leur mariage que se fait une mousse surréaliste, une mousse qui dépasse d'ailleurs les attentes. Nous voilà très rapidement noyés jusqu'aux oreilles.

Il est impossible de repérer toutes les musiques que Mathew a tissé tant la vitesse des clins d'oeil est effarante. A l'intérieur des autoroutes stylistiques que sont Led Zep et le reste, de micro-arrangements, eux-aussi parodiques mais plus subtils car brefs, sont injectés et font grouiller l'ensemble d'un drôle de teint. Vraisemblablement, le frère a ponctionné dans divers matériaux quelques caractéristiques isolées comme l'harmonisation ici, le rythme là ou le timbre là-bas, pour les combiner, et en faire un opéra mutant. On se demande alors qui est Matthew pour échafauder un truc pareil? Seulement un Mc Cartney sous ayahuasca armé d'un microscope.

En tout cas, une chose est sûre, sa broderie de styles créer une nouvelle écoute. L'index sur le cuir chevelu, perdu à danser dans cette mousse qui envahit les moindres silences, je me demande si le but du jeu ne serait pas justement de se perdre dans cette matière. Cette oeuvre ne serait elle justement inépuisable? En tentant d'en trouver la formule, me voilà aussi désemparé que la veuve-héroïne de l'opéra qui tente de se rappeler ce qu'elle a fait le quart d'heure avant de tomber dans les vaps ("My Egyptain Grammar").

Elle se demande; chantant à la Birkin: " Une samoane aux cheveux blancs m'avait conduit, il me semble, et m'a laissé dans la voiture / Non cela n'est clairement pas arrivé / Je consulte ma grammaire égyptienne, à la page 333 et trouve le hiéroglyphe d'un casque de motard. / Je l'ai mis dans une coquille en cuir comme on me l'avait appris et l'ai photocopié et re-posté à vélo à l'institut oriental. / Mais cela n'est clairement jamais arrivé. / J'ai consulté ma grammaire égyptienne à la page 428 et trouve le hiéroglyphe des canaux français. / A mi chemin je rencontrais quelqu'un en train de canaliser un truc inexistant. / Mais cela n'est clairement pas arrivé/ J'ai consulté ma grammaire égyptienne à la page 566 pour y lire le hiéroglyphe du geai bleu. ".

Cela n'est clairement pas arrivé. Ma moitié a reconnu (§tout en se brossant les dents) une rythmique des Cure depuis la salle de bain alors que le disque passait en boucle... J'ai réalisé l'infinité des angles d'écoute par lesquels cette musique pouvait être considérée, et du même coup la petite lorgnette que j'étais. Mais cela n'est clairement pas arrivé. Je prend mon Larousse à la page 274 et lit le mot "cube". Peut-être est-ce la clé pour repérer cette foutue structure qui suce les styles? Cube... On peut penser à ces variations de cubes incomplets de Sol Le Witt que Matthew aime. http://images.artnet.com/artwork_images/717/445488.jpg

D'un cube l'artiste dresse un inventaire des variations qu'offre une telle matrice. Sans jamais montrer la cube dans sa totalité, il obtient une variation de centaine de sculptures toutes différentes. Les Fiery ne se montre jamais tout à fait. Il ne colle jamais tout à fait à un style. Il métisse toujours. Ainsi il varie, sans cesse, et créer une oeuvre ouverte sur les possibles, comme d'un quart d'heure d'amnésie né un inventaire de " geai bleu ", de " canaux français " et de " casque de motard " qui pourrait se poursuivre ainsi à l'infini.

L'oeuvre des Fiery est une oeuvre d'une forme nouvelle, proche de Perec comme de Mallarmé, ou celle de Zappa ou Stravinsky. Elle redonne du souffle au calme plat environnant.
Exceptionnel ! !   19/20







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