Fiery Furnaces
I'm Going Away |
Label :
Thrill Jockey |
||||
Tout est raté avant même que je commence.
En écrivant aujourd'hui, je ne respecte pas le précepte du groupe qui réclamait des chroniques avant la sortie du disque. Mais supposant qu'il devait y avoir un "avant" et un "après", que tout l'intérêt d'un tel exercice était le décalage entre le fantasme du mélomane et le produit fini, on peu toujours décrire la différence entre mes attentes et ce qui a été servi au menu, et ainsi faire un topo sur ma digestion. Espérons que de ma digestion naîtra quelque chose qui aura du poids.
Pris dans l'élan baroque de "Remember" à la densité écrasante, qu'espérer de moins qu'un coffret lourd d'un kilos d'électro acoustique pour la suite ? Mais c'eût été trop linéaire! Voici qu' "I'm going away", dernier né de l'écurie des Fours Ardents, prend justement le contre pied des Rois Mages que nous sommes. A première vue, c'est un petit disque terriblement consensuel. Presqu'étriqué. L'objet offre un nombre classique (12) de chansons pop très jolies, standards comme ses enchaînements couplet/refrain, équilibrées comme ses durées radio, chaudes comme son ton soul solaire et velouté. Mais voilà. C'est peut-être un chouilla trop clair pour le mélomane amoureux des labyrinthes de la Cité aux Veuves. Ce mélomane là (pauvre de lui), ne peut que trépigner devant tant d'évidences. Cerise pour finir: Eleanor chante toujours encore mieux, bien qu'elle ne nous raconte plus ses épopées bavardes, bourrées d'adresses postales et de thèmes astraux mais se contente de bouts d'histoires rigolotes sans suite. Et la salive est là, et l'estomac aussi, devenu bien gourmand avec des Ep long comme le bras. Pourquoi faire des miettes maintenant ? "Who cut the cake ?" se demande d'ailleurs Eleanor: "Who cut the cake? Without any warning Who cut the cake? With my special knife into tiny little pieces for every fella's wife?"
L'éternel torchon "Magic" (qui a toujours craché sur cette musique trop intellectuelle pour leurs blousons noirs) est cette fois satisfait du travail. Lorsqu'Eleanor chante "The end is near", accompagnée d'une douce mélopedus à l'orgue et d'une rythmique feutrée, les chroniqueurs ne peuvent que monter au créneau: "Enfin de l'authenticité ! Les voilà même devenus mélancoliques d'un âge d'or!". Mais auraient-ils raison ces blousons? Bien sûr que non. Cet album ne révèle pas ses secrets au premier perfecto venu. Il demande plus d'attention parce qu'il est peut-être le plus subtil, le plus à même de créer des malentendus, malentendus foncièrement créatifs pour Matthew qui affirme: "les malentendus sont la vraie vie du disque." Pour mieux comprendre de quoi cette musique est faite, ce qu'il faut entendre par "malentendu", suffit d'aller en Suède.
1963. Albert Ayler est invité à souffler dans une radio suédoise. Le saxophoniste s'est alors vu affublé d'un combo be-bop de vieux schnoques pour enregistrer des standards. Loin de se démonter, Ayler déconstruit les thèmes à sa façon tandis que le groupe, lui, reste de son côté à chercher le son bleu qui les fera monter, tentant d'ignorer la cacophonie de l'américain. Ecart énorme entre deux intentions contraires : l'une plie le temps sur le passé ("Kind Of Blue" par exemple), l'autre explose vers le vertical ("Spirits"). Du coup no man's land au centre, pas un chat si ce n'est un gros malentendu que l'auditeur mange sans comprendre.
Avec les Fiery il n'est question que de ce type de malentendus (malentendus feints bien entendu). "I'm going away" n'entache en rien la règle. Il s'agit toujours de malentendus simulés. L'album est, d'un côté, un disque moyen typique des seventies; de l'autre, une exploration de territoires tout à fait inconnus. Le plus étonnant, c'est que l'un se nourrit de l'autre et vice versa. On n'arrive jamais à une entropie avec les Fiery: tout est finement haché et dosé.
L'architecture du disque reflète donc, d'un côté, et à merveille, les produits des seventies: une intro énergique ("I'm going away"), un titre épique ("Lost At sea"), un blues râpeux ("Starring At The Steeple"), un slow de rupture ("Drive to Dallas"), une rengaine-remplissage ("Ray Bouvier") et une chanson tellement sympa qu'on ne veut plus en finir ("Take me round Again"). En somme, on lit bien le mouvement rétrograde du combo be-bop en filigrane. "I'm going away", en apparence, serait un disque classique d'il y a trente ans comme je le laissé supposer au départ. Le monde pop (ou be-bop suédois) pourrait se réjouir, mais ce serait oublier le petit Ayler qui va casser tout ça.
Avec lui, des ratés irriguent partout la musique, lui donnent une vie secrète, moins évidente. Un accord dissonant rend la rengaine béante, un drone achève le blues, une accélération hystérique coupe le slow net, une guitare slide ridiculise une mélodie fleuve, un piano racoleur annonce lourdement un thème déjà assez lourdingue sans cela... et comme si ces fâcheuses maladresses ne suffisaient pas, il ponctue la catastrophe de solis monstrueux qui trouent avec violence le plan du style, prend plaisir à jouer avec une fuzz asthmatique, une guitare accordée trop basse ; certains solos sont si improbables, à mille lieu du titre et de son atmosphère, que seul un processus mathématique complexe peut en être l'origine. Ainsi des excès liquident, ça et là, par petites touches, les accroches logiques du style employé, à la manière d'une colle corrosive. Ce qui rend l'architecture molle. Matthew aime quand la musique pose problème, reste informelle, n'arrive pas à maturité soit parce qu'elle n'est pas assurée (elle n'a pas d'unité, comme la session suédoise susdite), ou bien au contraire parce qu'elle est excessive (les morceaux garages trop poussifs de "Remember", rappelez-vous).
Mais à quoi bon tout ça ? Pourquoi ne pas jouer de la bonne pop, tout simplement, sans chercher ? Pourquoi cette sophistication tordue? Serait-ce de la simple ironie méchante que de chanter "the end is near" alors que pour le frère comme pour la sœur, la fin de la pop serait déjà consommée depuis belle lurette ? Le groupe, à mon avis, a un but tout autre que du remâchage post-moderne qui consiste à faire tomber les idoles en se marrant. Ils sont tout deux dans une entreprise de déconstruiction du rock qui crée des écarts nouveaux d'où peut naître une ouverture sur une dimension verticale ("Spirits"?), en un mot MODERNE. Partir des décombres pour faire de l'épique... il est vrai qu'au moment des percées soudaines qui perfore le style, ce second degrès très filtré, une émotion spéciale pointe, mélange de rire et d'exaltation, qui me remémore la peinture du début du XXème. Peut-être est-ce dû au mélange subtil qui se noue entre ce que l'on aime et reconnaît (la pop), et l'inconnu qui, par instants, porte l'ensemble sur un nouveau plan ? L"élan de la transition? Laissons donc la parole au monde du rock via ce "commentaire" prélevé directement de leur site pour étoffer mes dires : "mais putai de merde !!!! j'en est rale cul !!! de me faire chié a ecrire des choses qui me tiennent a coeur et pis en plus ta musique est nul voila je les dit !!! pis en plus t'est moche !! et oui je m'adresse a eleanor friedberger !!!!!!!! elle ma piqué alex kapranos cette nouille !!"
En écrivant aujourd'hui, je ne respecte pas le précepte du groupe qui réclamait des chroniques avant la sortie du disque. Mais supposant qu'il devait y avoir un "avant" et un "après", que tout l'intérêt d'un tel exercice était le décalage entre le fantasme du mélomane et le produit fini, on peu toujours décrire la différence entre mes attentes et ce qui a été servi au menu, et ainsi faire un topo sur ma digestion. Espérons que de ma digestion naîtra quelque chose qui aura du poids.
Pris dans l'élan baroque de "Remember" à la densité écrasante, qu'espérer de moins qu'un coffret lourd d'un kilos d'électro acoustique pour la suite ? Mais c'eût été trop linéaire! Voici qu' "I'm going away", dernier né de l'écurie des Fours Ardents, prend justement le contre pied des Rois Mages que nous sommes. A première vue, c'est un petit disque terriblement consensuel. Presqu'étriqué. L'objet offre un nombre classique (12) de chansons pop très jolies, standards comme ses enchaînements couplet/refrain, équilibrées comme ses durées radio, chaudes comme son ton soul solaire et velouté. Mais voilà. C'est peut-être un chouilla trop clair pour le mélomane amoureux des labyrinthes de la Cité aux Veuves. Ce mélomane là (pauvre de lui), ne peut que trépigner devant tant d'évidences. Cerise pour finir: Eleanor chante toujours encore mieux, bien qu'elle ne nous raconte plus ses épopées bavardes, bourrées d'adresses postales et de thèmes astraux mais se contente de bouts d'histoires rigolotes sans suite. Et la salive est là, et l'estomac aussi, devenu bien gourmand avec des Ep long comme le bras. Pourquoi faire des miettes maintenant ? "Who cut the cake ?" se demande d'ailleurs Eleanor: "Who cut the cake? Without any warning Who cut the cake? With my special knife into tiny little pieces for every fella's wife?"
L'éternel torchon "Magic" (qui a toujours craché sur cette musique trop intellectuelle pour leurs blousons noirs) est cette fois satisfait du travail. Lorsqu'Eleanor chante "The end is near", accompagnée d'une douce mélopedus à l'orgue et d'une rythmique feutrée, les chroniqueurs ne peuvent que monter au créneau: "Enfin de l'authenticité ! Les voilà même devenus mélancoliques d'un âge d'or!". Mais auraient-ils raison ces blousons? Bien sûr que non. Cet album ne révèle pas ses secrets au premier perfecto venu. Il demande plus d'attention parce qu'il est peut-être le plus subtil, le plus à même de créer des malentendus, malentendus foncièrement créatifs pour Matthew qui affirme: "les malentendus sont la vraie vie du disque." Pour mieux comprendre de quoi cette musique est faite, ce qu'il faut entendre par "malentendu", suffit d'aller en Suède.
1963. Albert Ayler est invité à souffler dans une radio suédoise. Le saxophoniste s'est alors vu affublé d'un combo be-bop de vieux schnoques pour enregistrer des standards. Loin de se démonter, Ayler déconstruit les thèmes à sa façon tandis que le groupe, lui, reste de son côté à chercher le son bleu qui les fera monter, tentant d'ignorer la cacophonie de l'américain. Ecart énorme entre deux intentions contraires : l'une plie le temps sur le passé ("Kind Of Blue" par exemple), l'autre explose vers le vertical ("Spirits"). Du coup no man's land au centre, pas un chat si ce n'est un gros malentendu que l'auditeur mange sans comprendre.
Avec les Fiery il n'est question que de ce type de malentendus (malentendus feints bien entendu). "I'm going away" n'entache en rien la règle. Il s'agit toujours de malentendus simulés. L'album est, d'un côté, un disque moyen typique des seventies; de l'autre, une exploration de territoires tout à fait inconnus. Le plus étonnant, c'est que l'un se nourrit de l'autre et vice versa. On n'arrive jamais à une entropie avec les Fiery: tout est finement haché et dosé.
L'architecture du disque reflète donc, d'un côté, et à merveille, les produits des seventies: une intro énergique ("I'm going away"), un titre épique ("Lost At sea"), un blues râpeux ("Starring At The Steeple"), un slow de rupture ("Drive to Dallas"), une rengaine-remplissage ("Ray Bouvier") et une chanson tellement sympa qu'on ne veut plus en finir ("Take me round Again"). En somme, on lit bien le mouvement rétrograde du combo be-bop en filigrane. "I'm going away", en apparence, serait un disque classique d'il y a trente ans comme je le laissé supposer au départ. Le monde pop (ou be-bop suédois) pourrait se réjouir, mais ce serait oublier le petit Ayler qui va casser tout ça.
Avec lui, des ratés irriguent partout la musique, lui donnent une vie secrète, moins évidente. Un accord dissonant rend la rengaine béante, un drone achève le blues, une accélération hystérique coupe le slow net, une guitare slide ridiculise une mélodie fleuve, un piano racoleur annonce lourdement un thème déjà assez lourdingue sans cela... et comme si ces fâcheuses maladresses ne suffisaient pas, il ponctue la catastrophe de solis monstrueux qui trouent avec violence le plan du style, prend plaisir à jouer avec une fuzz asthmatique, une guitare accordée trop basse ; certains solos sont si improbables, à mille lieu du titre et de son atmosphère, que seul un processus mathématique complexe peut en être l'origine. Ainsi des excès liquident, ça et là, par petites touches, les accroches logiques du style employé, à la manière d'une colle corrosive. Ce qui rend l'architecture molle. Matthew aime quand la musique pose problème, reste informelle, n'arrive pas à maturité soit parce qu'elle n'est pas assurée (elle n'a pas d'unité, comme la session suédoise susdite), ou bien au contraire parce qu'elle est excessive (les morceaux garages trop poussifs de "Remember", rappelez-vous).
Mais à quoi bon tout ça ? Pourquoi ne pas jouer de la bonne pop, tout simplement, sans chercher ? Pourquoi cette sophistication tordue? Serait-ce de la simple ironie méchante que de chanter "the end is near" alors que pour le frère comme pour la sœur, la fin de la pop serait déjà consommée depuis belle lurette ? Le groupe, à mon avis, a un but tout autre que du remâchage post-moderne qui consiste à faire tomber les idoles en se marrant. Ils sont tout deux dans une entreprise de déconstruiction du rock qui crée des écarts nouveaux d'où peut naître une ouverture sur une dimension verticale ("Spirits"?), en un mot MODERNE. Partir des décombres pour faire de l'épique... il est vrai qu'au moment des percées soudaines qui perfore le style, ce second degrès très filtré, une émotion spéciale pointe, mélange de rire et d'exaltation, qui me remémore la peinture du début du XXème. Peut-être est-ce dû au mélange subtil qui se noue entre ce que l'on aime et reconnaît (la pop), et l'inconnu qui, par instants, porte l'ensemble sur un nouveau plan ? L"élan de la transition? Laissons donc la parole au monde du rock via ce "commentaire" prélevé directement de leur site pour étoffer mes dires : "mais putai de merde !!!! j'en est rale cul !!! de me faire chié a ecrire des choses qui me tiennent a coeur et pis en plus ta musique est nul voila je les dit !!! pis en plus t'est moche !! et oui je m'adresse a eleanor friedberger !!!!!!!! elle ma piqué alex kapranos cette nouille !!"
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Toitouvrant |
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