Faust
Rien |
Label :
Table Of The Elements |
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'On ne peut rien faire contre le silence'
(Jean-Hervé Péron in Rien, Faust)
Faust... Groupe majeur produit, reconnu, identifié ou créé -les avis divergent-, en tout cas lancé par Uwe Nettelbeck. Werner 'Zappi' Diermaier, Jean-Hervé Péron, Rudolf Sosna, Hans-Joachim Irmler, Arnulf Meifert, Gunter Wusthoff: Une bande de freaks reunis dans un studio d'enregistrement, d'abord à Wuemme en banlieue de Hambourg, aux frais de Polydor puis de Virgin, pendant des années, jusqu'à se retrouver finalement en prison quelques heures pour, résumons, "abus de position artistique". Plus personne ne voulait payer la note pour ces petits génies visionnaires. Ca rappelle un peu Kevin Shields avec "Loveless", sauf qu'ils étaient six ceux-là, très excités ("ingérables" fut, et est souvent employé, avec ou sans sourire) et que cela se passait entre 1969 et 1974, des années de feu où politique et création, engagement musical, livraient souvent un mélange explosif. De leurs rares performances scèniques, on sait que Faust là aussi détonnait: Flippers, télévisions (à détruire à la masse), métal... Werner 'Zappi' Diermaier, en passant, eut l'idée d'inviter des marteaux-piqueurs sur scène, puis de s'en servir lui-meme, influençant directement de futurs projets comme Einstuerzende Neubauten (de Hambourg également). Ce sont le plus souvent Zappa et le Velvet Underground qui sont cités comme contemporains, puis Sonic Youth et My Bloody Valentine comme héritiers. "FAUST furent les premiers" ("Faust were first") résuma la revue Time Out.
Après FAUST IV (1974), le collectif disparait quelque part entre l'Angleterre et l'Allemagne. Puis les pressages s'épuisent, et les années 80 couvrent le tout d'un voile d'ignorance. Heureusement, Recommended records (Chris Cutler) contribue à travers rééditions et éditions (beaucoup de bandes étaient restées inédites) en vynil, à tenir leur musique disponible. Le terme "krautrock", qu'ils ont largement contribué à populariser (en passant du péjoratif à la référence), reste, mais n'est pas encore revendiqué comme un courant musical influent (le post-rock, entre autres, arrivera 20 ans plus tard...). Il faudra l'arrivée du "compact-disc", le phénomène de la réédition et quelques allumés comme Julian Cope avec la parution de son "Krautrock sampler" pour remettre un peu d'ordre et surtout faire passer bon nombre d'enregistrements (on s'arretera ici donc à la scène allemande: Cluster, Neu!, Can, Faust, Popol Vuh, Ash Ra Tempel,...) du statut de 'légendes et fantaisies' (de la qualité musicale à l'existence meme des groupes) à celui de réalités (ré)écoutables, particulièrement pour de "jeunes" auditeurs adolescents au début des années 90.
Mais donc, encore plus et surtout, le retour de FAUST. C'est autour du label de Jeff Hunt, Table of the elements, qui avait déjà réédité l'exceptionnel "Ouside the dream syndicate" (Tony Conrad & Faust, 1973), que les premiers signes de vie active émergent: 2 concerts (Hambourg et le Marquee de Londres) sont sortis en cd en version limitées, datés 1990 et 1992. Diermaier, Péron et Irmler sont là. On apprend par la meme occasion que le projet a toujours continué à exister mais très discrètement, et l'on en saura certainement jamais plus sur ces 20 ans d'absence. Quant à Wusthoff et Meifert, ils ont disparu. Sosna, guitariste et "petit génie", n'est pas là. Il décèdera malheureusement en 1996 sans avoir pu rejoindre le groupe.
Faust et Jeff Hunt organisent alors en 1994 la première tournée américaine de Faust, qui sera representé par Diermaier et Péron entourés de "special guests": Tony Conrad, Keiji Haino, Lee Ranaldo et Thurston Moore (Sonic Youth), Jim O'Rourke et David Grubbs (Gastr del Sol), AMM, Zeena Parkins, Michael Morley/Gate et Steven Wray Lobdell, qui deviendra ensuite membre à part entière . Faust rencontre finalement, et sur scène, sa descendance, et l'on se rend compte que l'on a peu fabulé sur leur compte: La scène ressemble souvent à un chantier en ébullition et tout y est microphoné. Des bétonneuses en marche deviennent rythmiques, une tronçonneuse fend l'air en un long solo, les barres métalliques volent, la scène prend feu: Plus qu'un show rock le public assiste à un spectacle théâtral. La tournée évènementielle est un succès. Tout est enregistré, et des kilomètres de bandes sont confiées à Jim O'Rourke qui reçoit la mission d'extraire, de capturer l'essence d'un disque de cette folie "art-errorist" (c'est ainsi que Faust se définit depuis ce retour).
Le résultat en sera "RIEN". Pochette argentée, vierge à l'extérieur, et à l'intérieur: 5 morceaux et un générique de fin, ou plutot: 6 morceaux donc. 20 ans après, l'esprit 'faustien' est magnifié par l'abstraction et la violence de ce disque, qui cela va sans dire, est "concept". Il semble que RIEN ait cristallisé en tous points ce que l'on pouvait attendre en 1994 d'un Faust vivant, comme si le Velvet Underground était allé au-delà de "European son" lors de leur reformation en 1993 (et ce qui ne fut pas le cas). Ici le voyage est ponctué, ouverture et fermeture, par la voix déchirante de Keiji Haino, et offre une relecture, un bel "update", des courants musicaux que Faust avait contribué à porter au 'rock': industriel, noise, ambient. Le choix de Jim O'Rourke à la production (un héritier "cultivé", ou "intelligent") aura certainement aidé Faust à ne pas etre présenté comme une parodie d'eux-memes à travers le disque, un piège alors facile.
Dès l'ouverture, on comprend que le disque ne laisse que peu de marge de maneuvre à l'auditeur, qu'il sera vraisemblablement impossible de jamais le connaitre "par coeur". Tout fourmille d'expérimentations, de manifestes sonores, et ça ne donne pas d'indices. 6 plages qui auraient pu etre 1 ou 23. C'est tout un problème de choix, et Faust n'a jamais eu aucune crainte à affronter, à exagerer, ou souvent comme ici, à sublimer la radicalité. Le disque croit violemment de suite, puis plonge dans l'abstraction aggressive , non sans évoquer une continuité avec "Mammy's Blue", l'un des liants de Faust 1974/1994.
Puis RIEN trouve enfin un peu d'humanité (des voix, un discours, des mots) en "Long distance calls in the desert", enregistré lors d'un concert à Death Valley, Péron et Diermaier étant distants de plusieurs centaines de mètres, chacun sur une colline, apostrophant le silence, l'air et l'humanité toute entière. Ici meme le silence s'écoute fort.
A lui seul "Listen to the fish" justifie l'existence de RIEN. "Quand je suis sur le rivage, je pense à ceux qui sont en voyage, loin, là-bas, sur la mer". Péron s'y exprime en usant des paroles dialectales (de Cherbourg, ses origines) et lance Faust dans un voyage hallucinant de 15 minutes, culminant dans l'un des plus méchants et contenus solos de guitare jamais gravé, en réponse à la trompette dilatée de Péron: Une mer d'huile pleine d'éclairs et de vortex. "Eroberung Der Stille" (La conquete du silence), avant-dernière plage, se transforme en un happening littéralement monstrueux d'où émerge peu à peu la Symphonie n°3 ("Sorrowfull songs") d'Henryk Gorecki, déchirée par la voix primale de Keiji Haino et submergée par une avalanche de sons concrets.
Le disque se clot par un générique parlé, comme Godard le fit dans "Le mépris" (en ouverture). Une voix allemande et une voix anglaise récitent les crédits discographiques. C'est le morceau final qui clot le disque comme il avait commencé: "C'est RIEN de Faust".
C'est plutot là que tout a recommencé.
(Jean-Hervé Péron in Rien, Faust)
Faust... Groupe majeur produit, reconnu, identifié ou créé -les avis divergent-, en tout cas lancé par Uwe Nettelbeck. Werner 'Zappi' Diermaier, Jean-Hervé Péron, Rudolf Sosna, Hans-Joachim Irmler, Arnulf Meifert, Gunter Wusthoff: Une bande de freaks reunis dans un studio d'enregistrement, d'abord à Wuemme en banlieue de Hambourg, aux frais de Polydor puis de Virgin, pendant des années, jusqu'à se retrouver finalement en prison quelques heures pour, résumons, "abus de position artistique". Plus personne ne voulait payer la note pour ces petits génies visionnaires. Ca rappelle un peu Kevin Shields avec "Loveless", sauf qu'ils étaient six ceux-là, très excités ("ingérables" fut, et est souvent employé, avec ou sans sourire) et que cela se passait entre 1969 et 1974, des années de feu où politique et création, engagement musical, livraient souvent un mélange explosif. De leurs rares performances scèniques, on sait que Faust là aussi détonnait: Flippers, télévisions (à détruire à la masse), métal... Werner 'Zappi' Diermaier, en passant, eut l'idée d'inviter des marteaux-piqueurs sur scène, puis de s'en servir lui-meme, influençant directement de futurs projets comme Einstuerzende Neubauten (de Hambourg également). Ce sont le plus souvent Zappa et le Velvet Underground qui sont cités comme contemporains, puis Sonic Youth et My Bloody Valentine comme héritiers. "FAUST furent les premiers" ("Faust were first") résuma la revue Time Out.
Après FAUST IV (1974), le collectif disparait quelque part entre l'Angleterre et l'Allemagne. Puis les pressages s'épuisent, et les années 80 couvrent le tout d'un voile d'ignorance. Heureusement, Recommended records (Chris Cutler) contribue à travers rééditions et éditions (beaucoup de bandes étaient restées inédites) en vynil, à tenir leur musique disponible. Le terme "krautrock", qu'ils ont largement contribué à populariser (en passant du péjoratif à la référence), reste, mais n'est pas encore revendiqué comme un courant musical influent (le post-rock, entre autres, arrivera 20 ans plus tard...). Il faudra l'arrivée du "compact-disc", le phénomène de la réédition et quelques allumés comme Julian Cope avec la parution de son "Krautrock sampler" pour remettre un peu d'ordre et surtout faire passer bon nombre d'enregistrements (on s'arretera ici donc à la scène allemande: Cluster, Neu!, Can, Faust, Popol Vuh, Ash Ra Tempel,...) du statut de 'légendes et fantaisies' (de la qualité musicale à l'existence meme des groupes) à celui de réalités (ré)écoutables, particulièrement pour de "jeunes" auditeurs adolescents au début des années 90.
Mais donc, encore plus et surtout, le retour de FAUST. C'est autour du label de Jeff Hunt, Table of the elements, qui avait déjà réédité l'exceptionnel "Ouside the dream syndicate" (Tony Conrad & Faust, 1973), que les premiers signes de vie active émergent: 2 concerts (Hambourg et le Marquee de Londres) sont sortis en cd en version limitées, datés 1990 et 1992. Diermaier, Péron et Irmler sont là. On apprend par la meme occasion que le projet a toujours continué à exister mais très discrètement, et l'on en saura certainement jamais plus sur ces 20 ans d'absence. Quant à Wusthoff et Meifert, ils ont disparu. Sosna, guitariste et "petit génie", n'est pas là. Il décèdera malheureusement en 1996 sans avoir pu rejoindre le groupe.
Faust et Jeff Hunt organisent alors en 1994 la première tournée américaine de Faust, qui sera representé par Diermaier et Péron entourés de "special guests": Tony Conrad, Keiji Haino, Lee Ranaldo et Thurston Moore (Sonic Youth), Jim O'Rourke et David Grubbs (Gastr del Sol), AMM, Zeena Parkins, Michael Morley/Gate et Steven Wray Lobdell, qui deviendra ensuite membre à part entière . Faust rencontre finalement, et sur scène, sa descendance, et l'on se rend compte que l'on a peu fabulé sur leur compte: La scène ressemble souvent à un chantier en ébullition et tout y est microphoné. Des bétonneuses en marche deviennent rythmiques, une tronçonneuse fend l'air en un long solo, les barres métalliques volent, la scène prend feu: Plus qu'un show rock le public assiste à un spectacle théâtral. La tournée évènementielle est un succès. Tout est enregistré, et des kilomètres de bandes sont confiées à Jim O'Rourke qui reçoit la mission d'extraire, de capturer l'essence d'un disque de cette folie "art-errorist" (c'est ainsi que Faust se définit depuis ce retour).
Le résultat en sera "RIEN". Pochette argentée, vierge à l'extérieur, et à l'intérieur: 5 morceaux et un générique de fin, ou plutot: 6 morceaux donc. 20 ans après, l'esprit 'faustien' est magnifié par l'abstraction et la violence de ce disque, qui cela va sans dire, est "concept". Il semble que RIEN ait cristallisé en tous points ce que l'on pouvait attendre en 1994 d'un Faust vivant, comme si le Velvet Underground était allé au-delà de "European son" lors de leur reformation en 1993 (et ce qui ne fut pas le cas). Ici le voyage est ponctué, ouverture et fermeture, par la voix déchirante de Keiji Haino, et offre une relecture, un bel "update", des courants musicaux que Faust avait contribué à porter au 'rock': industriel, noise, ambient. Le choix de Jim O'Rourke à la production (un héritier "cultivé", ou "intelligent") aura certainement aidé Faust à ne pas etre présenté comme une parodie d'eux-memes à travers le disque, un piège alors facile.
Dès l'ouverture, on comprend que le disque ne laisse que peu de marge de maneuvre à l'auditeur, qu'il sera vraisemblablement impossible de jamais le connaitre "par coeur". Tout fourmille d'expérimentations, de manifestes sonores, et ça ne donne pas d'indices. 6 plages qui auraient pu etre 1 ou 23. C'est tout un problème de choix, et Faust n'a jamais eu aucune crainte à affronter, à exagerer, ou souvent comme ici, à sublimer la radicalité. Le disque croit violemment de suite, puis plonge dans l'abstraction aggressive , non sans évoquer une continuité avec "Mammy's Blue", l'un des liants de Faust 1974/1994.
Puis RIEN trouve enfin un peu d'humanité (des voix, un discours, des mots) en "Long distance calls in the desert", enregistré lors d'un concert à Death Valley, Péron et Diermaier étant distants de plusieurs centaines de mètres, chacun sur une colline, apostrophant le silence, l'air et l'humanité toute entière. Ici meme le silence s'écoute fort.
A lui seul "Listen to the fish" justifie l'existence de RIEN. "Quand je suis sur le rivage, je pense à ceux qui sont en voyage, loin, là-bas, sur la mer". Péron s'y exprime en usant des paroles dialectales (de Cherbourg, ses origines) et lance Faust dans un voyage hallucinant de 15 minutes, culminant dans l'un des plus méchants et contenus solos de guitare jamais gravé, en réponse à la trompette dilatée de Péron: Une mer d'huile pleine d'éclairs et de vortex. "Eroberung Der Stille" (La conquete du silence), avant-dernière plage, se transforme en un happening littéralement monstrueux d'où émerge peu à peu la Symphonie n°3 ("Sorrowfull songs") d'Henryk Gorecki, déchirée par la voix primale de Keiji Haino et submergée par une avalanche de sons concrets.
Le disque se clot par un générique parlé, comme Godard le fit dans "Le mépris" (en ouverture). Une voix allemande et une voix anglaise récitent les crédits discographiques. C'est le morceau final qui clot le disque comme il avait commencé: "C'est RIEN de Faust".
C'est plutot là que tout a recommencé.
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Thee |
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